Michel HOUELLEBECQ
FLAMMARION
320pp - 21,00 €
Critique parue en avril 2015 dans Bifrost n° 78
La sortie d’un nouveau roman de Michel Houellebecq est toujours annonciateurs d’une grande fiesta : les tirages de presse augmentent, les audiences du PAF font « Boum ! », les empoignades entre amis deviennent meurtrières et les réunions de famille dominicales (profitez-en, y en a plus pour longtemps) se réaniment comme par magie. Il faut dire qu’avec son sens aigu de la provocation bien ciblée (autant rater une vache dans un couloir de soixante-dix centimètres de large), Houellebecq aurait tort de se priver.
« Il faut que ce soit crédible, quand même. (…) mais ça n’a pas besoin d’être très crédible. » (sur France Inter, le 07/01/15)
Comme chacun le sait, la non-action de Soumission se déroule en 2022, autour des élections présidentielles. Après toutes ces années de généralisation d’une franche médiocrité politique, le tout jeune parti de la Fraternité Musulmane se fraie un chemin jusqu’au pouvoir suprême, plaçant ainsi son chef, Mohammed Ben Abbes, à l’Elysée. Et, contrairement aux boutiquiers habituels de la Ve République, M. Ben Abbes a des projets plein la tête et pourrait bien se tailler une réputation de bâtisseur d’empire (vertical) dans les livres d’Histoire. La stratégie du grand homme passe par le contrôle absolu de l’Education Nationale et de l’Enseignement supérieur français…
Dans ce contexte inédit et assez farfelu, le lecteur retrouvera l’anti-héros Houellebecquien type : François (Ah ! Ah ! Ah !), un quarantenaire, professeur à la Sorbonne, rendu mou par l’ennui (hors du sexe et de la gastronomie, point de salut), terrifié par l’affaissement de ses chairs et finalement aussi étranger au monde que le Meursault de Camus (Albert, pas l’autre). François devra donc choisir entre une mise en retraite anticipée (et grassement payée) ou conserver son travail moyennant sa conversion à l’Islam.
« Je n’y peux rien s’il y a des crétins qui me lisent. » (dans 20 Minutes, le 27/01/15)
Avec Soumission, Houellebecq livre une satire au vitriol de la France et de ses élites : les politiques se prennent de véritables tomahawks dans la tête ; l’université française et les intellectuels y sont montrés comme un corps décadent, absolument pourri d’autosatisfaction ; les Français comme des poulets qui, parfois, croient qu’on leur a coupé la tête et courent dans tous les sens jusqu’à ce que leur apathie reprenne le dessus. Une lecture attentive et objective prouvera à chacun et chacune qu’il n’y a ici aucune trace de racisme ou de misogynie, seulement la consolidation d’une certaine misanthropie engendrée par les convulsions sans fin d’une société qui n’a pas eu le bon goût de disparaître en fin de siècle.
La soumission à l’Islam n’est dans ce sixième roman que l’artifice affleurant à la surface d’un vortex abyssal de soumissions auxquelles nous consentons chaque jour : soumission au système, à la médiocrité, à nos pulsions, à la vieillesse… En bref, soumission aux autres et soumission à la vie…
Un Houellebecq majeur.