En ce XXIIIe siècle, l’humanité semble avoir enfin trouvé un équilibre. Ainsi, après les guerres et catastrophes climatiques du Siècle Noir ayant failli la conduire à l’annihilation, est née l’Instance, une société stable, pacifiée, plus égalitaire et respectueuse de l’environnement. Pour la majorité de ses habitants, du moins. Afin de résoudre les conflits et autres survivances d’un passé violent, un corps d’élite a vu le jour, celui des Enquêteurs. Lyla Tran-Dinh est l’une d’entre eux. Particulièrement efficace, parce que précise dans son travail et dotée d’une intuition hors pair. Appelée en Haute-Occitanie, dans la charmante ville de Teixat, elle va devoir faire appel à tous ses talents pour trouver le responsable de quatre meurtres, évènement rarissime depuis l’avènement de l’Instance. Sans parler de l’apparition d’un mystérieux soleil de cendres, cause de perturbations violentes, aussi bien au niveau climatique que dans les esprits de chacun. Ses recherches vont la mener loin, très loin. Jusqu’à remettre en cause les bases mêmes de son éducation, les fondations de ce monde pourtant si juste, si droit.
Sous le soleil de cendres aurait dû faire partir d’un cycle romanesque initié par Jean-Marc Ligny, « Les Voies de l’utopie ». Le projet, dont Lyla devait être le personnage central, n’a pas abouti. Ce roman paraît donc de façon tout à fait indépendante, et signe de fait le retour du couple Belmas après les trois volumes du cycle des « Terres mortes », paru chez trois (micro)éditeurs différents sur près d’une quinzaine d’années (un recueil, deux romans), et Mars Heretica (roman paru en 2002 chez les défuntes éditions Imaginaires sans Frontières). Et c’est une chance, car Claire et Robert Belmas ont rendu une copie de qualité. Le récit se divise en trois grandes parties. L’enquête, d’abord, essentielle pour permettre au lecteur de se familiariser avec l’héroïne et les principaux protagonistes, mais aussi avec cet univers présenté comme idyllique. La deuxième étape, plus brutale, plus cruelle, conduit Lyla à découvrir la face cachée de l’Instance : le sort réservé aux parias, incapables de respecter les normes, de contenir leurs pulsions destructrices. Enfin, le dernier mouvement, plein d’actions et de rebondissements, qui clôt l’ensemble.
Certaines scènes, surtout sur la fin, sont parfois convenues. Et si certains personnages s’avèrent un poil stéréotypés (à l’image de Van Zern, la grosse brute bodybuildée, ou Axel, victime (trop) vite devenue bourreau), d’autres déploient en revanche une profondeur tantôt touchante (Gert et ses emportements), tantôt inquiétante, détestable ou appréciable. De plus le paysage, une entité en soi, est joliment décrit et compense la faiblesse de certains protagonistes : l’Orri, l’Himalaya des zones grises et ses pentes vertigineuses marquent le lecteur par leur noirceur. De fait, l’ensemble est convaincant : tant les postulats de base de cette société que les questions en découlant. Est-il possible de maintenir un groupe de femmes et d’hommes dans une communauté sur un pied d’égalité ? Tous les individus peuvent-ils se contenter d’une vie raisonnable sans céder à la démesure, à une volonté de s’affirmer comme plus fort, plus méritant que les autres ? Et, sur un autre plan, est-il possible de revenir à la normalité quand on a franchi le miroir, quand on a vu et réellement appréhendé la noirceur de certains esprits ? Autant d’interrogations qui traversent un récit somme toute bien mené, agréable à lire et poussant le curseur finalement au-delà de la simple lecture « de distraction ». Bref, un retour convaincant pour le couple Belmas.