Alastair REYNOLDS
BRAGELONNE
550pp - 25,00 €
Critique parue en janvier 2017 dans Bifrost n° 85
Pionnière du voyage interstellaire, la très âgée Eunice Akinya s’est embarquée pour les étoiles grâce au principe de Chibesa, qu’elle a laissé à ses descendants, ouvrant à l’humanité les portes de l’espace. Ce volet se déroule plusieurs décennies après les évènements du premier tome (La Terre bleue de nos souvenirs) : Geoffroy, qui étudiait les éléphants au pied du Kilimandjaro, s’est éteint, refusant de prolonger sa vie avec les moyens à sa disposition ; sa sœur Sunday, l’artiste basée sur la Lune, âgée de plusieurs siècles, est plongée dans un coma profond dû à un calcul mathématique accaparant son esprit. Avec Jitendra, elle a eu une fille, Chiku, laquelle s’est fait cloner en deux exemplaires indiscernables de l’original, reliés par un transfert de mémoire : Chiku Jaune est restée sur Terre tandis que ses autres versions vont à l’aventure. Elle a eu un fils, Mecufi, avec lequel elle est brouillée : il a rejoint les Aquatiques, qui, sous l’égide de Lin Wei, la fondatrice, retournent à la mer en redevenant poissons ; elle-même est désormais Arethusa, une baleine qui vit recluse sur une station spatiale. Chiku Rouge s’est lancée à la poursuite du vaisseau spatial d’Eunice et n’est jamais rentrée, Chiku Verte a eu deux enfants avec Kanu et tous sont à bord du Zanzibar, un des holovaisseaux de la caravane qui fait route vers un autre monde, Creuset, situé à vingt-huit années-lumière : le décalage temporel est désormais trop grand pour maintenir le lien entre les deux exemplaires de Chiku. Pourtant, le fantôme de Chiku Verte apparaît à Jaune, manifestement dans l’intention de lui délivrer un message ; les Aquatiques sont prêts à assister celle-ci pour qu’elle en prenne connaissance, persuadés qu’une menace se profile.
En effet, Zanzibar et les autres vaisseaux, astéroïdes évidés longs de cinquante kilomètres, avec lacs, montagnes et villes abritant des millions de passagers, ainsi que des éléphants, se rendent sur Creuset car Arachne, l’intelligence artificielle dirigeant le télescope spatial Ocular, y a détecté un artéfact formant une bande à la surface de la planète, le Mandala. Devançant la caravane, des machines intelligentes, les Pourvoyeurs, sont censées construire des villes et rendre la planète habitable tandis que les passagers effectuent à tour de rôle des sauts qui les plongent dans un sommeil cryogénique retardant leur vieillissement. Mais une explosion causant une dépressurisation sème la panique : criminelle ou pas, elle révèle des tunnels non répertoriés qui soulèvent bien des questions et divise la classe politique en factions antagonistes. Le mystère s’épaissit lorsque la fiabilité des données transmises par les Pourvoyeurs sur place est remise en cause. Par ailleurs, la mission doit se préoccuper d’un problème que les ingénieurs n’ont pas encore résolu depuis la décision d’imprimer aux vaisseaux une accélération maximale ayant consommé l’énergie disponible pour ralentir, à savoir la mise au point d’un système de freinage, sous peine de dépasser leur destination.
Dans le Système solaire également, là où Chiku Jaune mène l’enquête, sur Mercure ou Hypérion, des tentatives de meurtre dessinent les contours d’une menace qui concerne toute l’humanité.
Il est difficile de passer à côté de ce roman tant il regorge d’idées intéressantes, qu’il serait dommage de dévoiler ici. L’originalité de l’univers mis en place par Alastair Reynolds s’est un peu émoussée, mais l’intérêt reste soutenu grâce à une action plus dynamique et des révélations savamment dosées. Au passage, on relève de stimulantes réflexions sur la définition de la conscience ou les rapports entre animalité, machines et humanité, dont les frontières tendent de plus en plus à s’estomper. Une saga d’ores et déjà à marquer d’une pierre blanche.