Joan G. ROBINSON
MONSIEUR TOUSSAINT LOUVERTURE
256pp - 16,50 €
Critique parue en janvier 2022 dans Bifrost n° 105
La jeune Anna a eu un début de vie difficile : orpheline de père et de mère, elle perd également sa grand-mère et se retrouve adoptée par les Preston, famille honnête et sincèrement attachée à cette jeune fille « au visage de marbre » et dont elle ne sait pas trop comment se faire aimer. Alors, pour la faire changer d’air et l’aider à grandir un peu, on l’envoie chez les Pegg et leur cottage, sur la côte. Les Pegg s’en occupent avec attention tout en lui laissant une liberté tranquille dans ce petit village du littoral. Anna peine à se faire des amis de son âge mais au cours d’une de ses promenades solitaires, son attention est attirée par une villa en bord de mer, qui semble lui faire signe. Et de fait, un jour, elle aperçoit fugacement une jeune fille à l’une des fenêtres. Celle-ci réapparaîtra plus tard, devant Anna, et dira s’appeler Marnie. Mais Marnie est mystérieuse et a un réel talent pour apparaître et disparaître sans crier gare. Les jeunes filles s’attachent l’une à l’autre et Anna, au gré des rencontres nocturnes, pénètre le monde familier et doucement suranné de son amie…
Voici pour la première fois traduit en français, par Patricia Barbe-Girault, le fameux roman de Joan G. Robinson, When Marnie was there, paru en 1967. Si on connaît cette œuvre par la délicate adaptation en anime du maître japonais Hiromasa Yonebayashi en 2014, on ne peut que se réjouir d’avoir enfin dans les mains, grâce au subtil travail d’édition de Monsieur Toussaint Louverture, ce standard de ce qu’on appelle un peu vite littérature jeunesse. Littérature jeunesse pour son sujet bien sûr, puisqu’il s’agit du monde de l’enfance, de ses secrets, de ses amitiés et de leur exclusivité, de ses difficultés dans les relations aux autres, pairs et adultes, pour sa tonalité doucement fantastique – peu originale certes mais lumineuse –, mais aussi pour sa simplicité de lecture, car ce roman qui avance l’air de rien se lit avec aisance et se dénoue en rassasiant le lecteur du sens qui se cachait dans la trame du texte depuis le début.
Bien évidemment, ce qu’on adore, c’est qu’on nous parle avec cette délicieuse simplicité de sujets graves. L’attachement à l’autre, la solitude de la fin de l’enfance, ce passage qui s’ouvre devant soi vers l’adolescence et qu’on doit franchir seul, comme on naît et comme on meurt (certaines langues ont une voix moyenne, entre l’actif et le passif, spécialement pour ces actions-là), une perte de soi mais aussi de celui qui est proche. Mais en consolation, ce qu’on trouve dans ces pages, c’est la beauté des rencontres, le temps qu’elles prennent à nous entrelacer au monde par des fils insoupçonnés qu’elles tissent à travers l’espace et le temps, et la figure de nous-mêmes qu’elles dessinent et qu’on découvrira un jour, car le roman nous le garantit : cette vérité de soi, nous la connaîtrons, et cette certitude est sans aucun doute le plus sûr baume dont nous avons besoin, à tout âge.