En choisissant le nom d’un insecte comme titre de son recueil, Bruce Bégout fournit un indice essentiel sur l’atmosphère des textes qui le composent ; une information confirmée immédiatement par le sous-titre : « fantaisies malsaines ». A la manière d’un entomologiste, l’écrivain essayiste dissèque la monstruosité banale de l’être humain dans le biotope qui lui est devenu propre : la ville, ses banlieues et les espaces intermédiaires structurant et innervant le tissu urbain, autoroutes, friches urbaines, motels, stabulations commerciales…
D’emblée, on sent que Bruce Bégout maîtrise son sujet. Il restitue une image convaincante de ces lieux interlopes, image puisée dans son vécu puisqu’il a fait des zones suburbaines un sujet d’étude, exposant le fruit de sa réflexion dans quelques essais et un roman (L’Eblouissement des bords de route, éditions Verticales, 2004). A ces espaces extérieurs, il agglomère ceux de l’intérieur de la psyché humaine dont les méandres ténébreux ne sont pas moins angoissants. Ainsi l’intérieur entre en résonance avec l’extérieur.
Vous l’aurez compris à la lecture de ce long préambule : amis de la joie et de la bonne humeur, adeptes des visions prospectives et du vertige spéculatif, laudateurs de l’optimisme à tout crin, passez votre chemin. Nous sommes ici plus du côté de J. G. Ballard, celui de La Foire aux atrocités ou de Millenium People, que de Stephen Baxter ou de Norman Spinrad. A bien des égards, c’est un paysage du désastre, une douce apocalypse que décrit Bruce Bégout. Les trente-huit fragments textuels composant son ouvrage permettent ainsi de reconstituer progressivement une image très sombre de notre société où ne semblent finalement dominer que l’aliénation, le désenchantement, la décadence, l’inappétence, l’indifférence. L’humanité s’y trouve réduite à quelques initiales, pour ne pas dire des particules élémentaires, signe supplémentaire de la déshumanisation générée par les temps modernes. Le quotidien se mélange aux préoccupations morbides des personnages et le morbide devient lui-même un élément de leur quotidien. Hantés par leurs névroses et des monomanies persistantes, victimes consentantes de la société de consommation et de loisirs, en proie à la paupérisation, les personnages de Sphex recherchent une très improbable paix intérieure.
Le diagnostic issu de l’auscultation du patient, notre civilisation, n’est pas très encourageant. On se trouve dans la phase terminale d’une longue maladie dont Bruce Bégout ne nous cache aucun des symptômes. Quant au traitement, il ne semble pas à l’ordre du jour. Ce parti pris est sans doute le point faible de l’ouvrage. On peut juger outrancier une telle vision de la modernité, ne retenant en fin de compte que ces aspects les plus déprimants. Par ailleurs, à quelques exceptions près, les personnages de Bruce Bégout manquent singulièrement de chair. En s’interdisant toute empathie pour eux, l’auteur ne leur confère aucune présence. Ils ne s’incarnent pas et ne se distinguent pas des autres éléments du décor.
En dépit de ces quelques réserves, Sphex reste un ouvrage cohérent de bout en bout, en accord avec le projet de son auteur. Le sera-t-il avec les attentes du lectorat ? Sans doute, si celui-ci recherche une littérature résolument désenchantée.