Le commandant Catherine Li est une dure à cuire. Officier d'active dans les forces spéciales de l'ONU, elle compte à son tableau de chasse plus de missions délicates que n'importe quel autre troufion de l'organisation de la Paix. Le corps upgradé et la mémoire régulièrement mise à jour — le procédé du saut quantique ayant la fâcheuse conséquence d'effacer peu à peu les souvenirs —, Li est le rouage efficace et sans trop d'états d'âme du bras armé de cette Onusie futuriste. Jusqu'au jour où, après un briefing aussi laconique et mystérieux que d'habitude, l'opération qu'elle dirige sur la planète Metz s'achève par une bavure. Son supérieur hiérarchique lui ménage alors un congé sabbatique, le temps que l'affaire se tasse. Bien entendu, pas question que la bête de guerre se repose. Elle est donc dépêchée sur le monde de Compson afin d'y enquêter sur le douteux décès accidentel d'une physicienne géniale. La mission n'a rien d'une sinécure car Compson est un monde stratégique d'où est extraite la matière première nécessaire à l'espace spinien, donc aux communications instantanées et aux déplacements supraluminiques dans la sphère d'influence humaine. Nous sommes donc en zone ultrasensible, sous les regards envieux de nombreuses puissances prêtes à dégainer au moindre accroc. Nous sommes aussi en terrain de connaissance pour Li, qui a un passé inavouable sur la planète et un passif encombrant à négocier avec certains de ses habitants.
Porter un nouveau-né sur les fonds baptismaux est une rude tâche, surtout si le braillard est pesant et joufflu. Mais il faut croire que c'est une tâche dont on peut s'enorgueillir, compte tenu de tout le cérémonial, souvent savoureux, qui l'entoure. En littérature, c'est sans doute aussi un honneur de parrainer un jeune auteur. C'est plus sûrement encore un argument commercial… Placé résolument par une quatrième de couverture aguicheuse sous le parrainage de David Brin et de Stephen Baxter, Spin State suscite irrésistiblement l'envie. Chris Moriarty y est présentée par nos deux parrains comme un dangereux talent. À ceci, il convient d'ajouter une seconde information. Spin Control, le second volet de cet univers, a été couronné en 2006 par le prix Philip K. Dick. Autant vous dire qu'une furieuse fringale succède à l'envie devant de telles références. Et puis survient la cruelle déception lorsque la montagne accouche d'une souris… Pourtant, après avoir été envieux et gourmand, je ne céderai pas à la colère et me contenterai d'énoncer tout ce que Spin State n'est finalement pas.
Pour commencer, ce livre n'est pas un roman noir recouvert d'un vernis science-fictif. Certes, on ne peut pas nier que Chris Moriarty connaît ses classiques. Elle aligne, en tirant allègrement à la ligne, tous les stéréotypes du genre : le patron retors, prompt à exploiter sans vergogne son prochain ; le nervi musculeux et vicieux, ennemi (forcément) de l'héroïne ; le petit jeune de la police, admiratif et idéaliste (il trahira, naturellement), la faible créature féminine, martyrisée et humiliée (elle se vengera) ; le médecin humaniste, sorte de mère Teresa (la coiffe en moins) ; l'illuminé de service qui entend des voix (et il a raison, le bougre), des dirigeant syndicaux prompts à imposer le Paradis du Prolétariat (Debout les damnés de la Terre !) ; une self-made intelligence artificielle… pour laquelle Li réfrène difficilement un béguin déraisonnable (ils s'avoueront mutuellement leur amour)… À défaut du noir, on se satisfera donc d'un roman rose foncé.
Quid du rythme que l'on nous promet haletant ? Pas de chance. Spin State est loin d'être un roman à la narration échevelée, et d'ailleurs c'est plutôt chauve qui peut… En dehors de la séquence d'ouverture (une quinzaine de pages assez bien menées quand même) et d'une opération de piratage de données très minutée (pages 393 à 414), le récit se traîne en longueur. Il s'enferre dans 540 pages de tourments psychologiques interminables, d'esbroufe bodybuildée à coups de joujoux technologiques et de pseudo suspense. Il ressasse sans cesse les états d'âme de l'héroïne, épiloguant de manière interminable sur sa blessure à l'épaule qui l'handicape beaucoup et l'empêche d'égaler les machos les plus caricaturaux. On se contentera donc d'un récit mollasson, idéal en livre de chevet lorsque l'insomnie vous cueille avec fourberie.
Reste, pour ressusciter l'intérêt désormais bien mort, l'univers post-humain esquissé en arrière-plan avec un souci de vraisemblance techno scientifique louable, comme en témoigne la bibliographie imprimée en fin d'ouvrage. Hélas, une fois de plus, aucune bonne surprise. Juste un air lancinant de déjà-vu. Spin state n'est pas le roman bouleversant qui propulse sur une orbite jamais atteinte auparavant la science-fiction du XXIe siècle. On s'accommodera à la place d'un ersatz qui rappelle fortement Dune de Frank Herbert. Pour cela, il suffit de remplacer l'épice par les condensats de Bose-Einstein, la Guilde par l'ONU, les Grandes Maisons par les Ligues et les Multiplanétaires, les Frémens par les mineurs du monde de Compson… Bon, je force sans doute un peu le trait car évidemment, Dune bénéficie d'un background autrement plus approfondi, d'une réflexion sur le devenir de l'humanité bien plus étendue et puis, il n'est pas question d'intelligence artificielle dans le roman de Frank Herbert, Jihad Butlérien oblige.
Bref, rien de vraiment nouveau dans ce roman qui ne dépasse pas le cap de la distraction conformiste et au final très ennuyeuse.