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Les critiques de Bifrost

Station solaire

Station solaire

Andreas ESCHBACH
L'ATALANTE
320pp - 18,50 €

Bifrost n° 19

Critique parue en septembre 2000 dans Bifrost n° 19

Jusqu'il y a peu, la traduction de S-F allemande, outre Perry Rhodan, restait un épiphénomène ; pire, une rareté, une curiosité… On parlait alors de S-F exotique et ça n'a pas vraiment changé ; pas encore. C'est néanmoins le second roman d'Andreas Eschbach que l'Atalante nous propose après Des Milliards de tapis de cheveux. C'est moins que les huit livres italiens désormais disponibles (chez Payot/Rivages et au Fleuve Noir) mais déjà beaucoup dans le contexte désertique qui prévalait jusqu'alors. Des S-F autres que anglo-saxonne et indigène commencent à exister. D'autant plus qu'Eschbach et d'autres auteurs ou artistes venus d'outre-Rhin ont pu être vu à Utopia et aux Galaxiales ; des nouvelles ont également été traduites dans Utopia 1 et Cosmic Erotica. L'Europe de la S-F commencerait-elle à entrevoir le jour ? Va-t-on vers des conventions européennes dignes de ce nom ?

Station Solaire est un frileur, comme on dit à l'Atalante pour faire plaisir à Jacques Toubon.

Il n'existe pas pléthore de romans se passant intégralement en orbite basse dans un futur immédiat. L'une des références les plus proches est l'historique Apollo 13 ; sinon, ce sera Ascenseur pour l'infini de Lester Del Rey, roman et auteur aujourd'hui bien oubliés, écrit avant même que Gagarine ne fasse quelques petits tours en orbite. Alors que chez Del Rey on s'enthousiasmait à l'idée de ce qui allait pouvoir se faire, chez Eschbach on espère entretenir encore un peu ce qui n'est toujours qu'un rêve. Quarante ans ont passé. L'humanité n'a plus d'avenir.

2015. Le Japon entretient la station Nippon et a racheté les navettes spatiales américaines. À 400 km au-dessus de la Terre, neuf astronautes-chercheurs expérimentent la transmission au sol d'énergie solaire, captée au moyen d'une immense voile photo-électrique — hybride de panneau photo-électrique et de voile solaire — et transmise grâce à un faisceau de micro-ondes. En effet, le pétrole s'épuise et le nucléaire suivra… Mais la transmission ne fonctionne pas et un sabotage commence à être soupçonné.

Entre les pirates de l'espace qui veulent utiliser le faisceau de micro-ondes pour cuire tous les habitants de la Mecque et un éco-terroriste qui, soucieux de dissimuler son forfait, permettra à Khalid et ses sbires de perpétrer le leur en rendant le faisceau opérationnel, les autres occupants de la station auront fort à faire pour ne serait-ce que sauver leurs vies.

Station Solaire est un parfait huis-clos mené à cent à l'heure dans une ambiance étouffante. Du coup, on le dévore plus qu'on ne le lit. De plus, il ne faut que fort peu de pages à Eschbach pour brosser le tableau d'un XXIe siècle qui déchante. L'Islam à feu et à sang. Une Amérique en proie à l'obscurantisme qui s'est désinvestie de l'espace. Quant à la Russie : « dire qu'elle est plongée dans le chaos serait faire injure au chaos », selon la formule choc d'Eschbach lui-même. Reste l'Europe, qui a raté le coche et se trouve en voie de balkanisation. Le pétrole se tarit. Des écho-nihilistes font tout leur possible pour abattre la civilisation et priver l'humanité de ses ultimes chances de salut, telle la station solaire. Eschbach ne s'évertue pas sur les détails ; son évocation du monde a la force incisive de la caricature. Ce n'est pas son propos, c'est son contexte. Son propos, c'est un roman d'action.

L'intrigue repose certes sur quelques clichés du roman d'espionnage : les « méchants » qui ont malencontreusement pris pour cible le fils du héros, les femmes otages qui sont, au choix, menacées ou exécutées par l'inévitable sbire sadique et psychopathe, le héros qui s'évade et reconquiert la station, la seconde chance accordée au « méchant » par le destin d'accomplir son funeste dessein, les « méchants » qui meurent tous sans que les « bons » l'aient vraiment voulu, la fausse piste qui n'en est pas une… Jusqu'au Katana qui traîne à bord de la station qui n'aurait pu être japonaise sans cela ! Tout y passe. Dans un premier temps, on assiste à la mise en place de la situation assortie de perturbations. Dans un second, c'est l'irruption de la situation de crise qui va crescendo jusqu'à son paroxysme, puis survient le retournement de situation et l'ultime rebondissement. Le thriller type. Classique en diable mais diablement efficace. Station Solaire est aussi radical qu'épuré à l'extrême. Un modèle du genre. On en redemande.

Jean-Pierre LION

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