[Critique commune à Secret ADN, Steppe Rouge et Les Fils de l'air.]
Promotion sur le Heliot ! Derrière cette affirmation péremptoire, un tantinet provocante, se cache un constat : Johan Heliot se consacre de plus en plus à la littérature jeunesse. En dehors de quelques nouvelles lâchées ici ou là (voir l'anthologie Dragons au sommaire de ce numéro) et d'un roman noir édité au Rocher (Passé censuré), genre qui semble attirer incontestablement l'auteur lorrain, c'est un euphémisme de dire que Johan Heliot se fait rare pour les amateurs d'une littérature plus « adulte » (ceci étant, nos informateurs nous signalent qu'Heliot travaille en ce moment même sur un ambitieux roman pour la collection « Rendez-vous ailleurs » du Fleuve Noir, mais chut…). Pas moins de trois (courts) romans destinés à l'adolescence constituent son actualité dans le domaine qui nous intéresse. Et même si la mention « tout lecteur » apparaît sur la quatrième de couverture, il semble légitime de s'interroger sur l'intérêt de lire ces livres ou à défaut d'aiguiller d'éventuelles connaissances juvéniles / membres mineurs de sa famille / élèves (entourez la proposition qui vous convient) vers l'un d'entre eux.
Avec Secret ADN, nous sommes en terrain connu. Ce court roman renoue en effet avec le futur sécuritaire d'Ados sous contrôle (même éditeur, même collection, un livre qui doit bien fonctionner puisqu'il vient tout juste d'être réédité, deux ans après sa première édition). Il en reprend également les personnages principaux : Lou et Erwan. La science-fiction s'inscrit dans les codes de l'anticipation ; le léger décalage dans l'avenir ayant pour objectif de dénoncer les dérives qui sont en germe ici et maintenant. Amours adolescents, intrigue fléchée, psychologie à l'étiage, rythme survitaminé, sentimentalisme à fleur de peau, rebondissements prévisibles, Johan Heliot ne craint pas d'aligner les clichés les plus éculés et les procédés narratifs les plus conventionnels. En cela, il fait montre d'une indéniable connaissance de son cœur de cible. Et pourtant, cette routine finit par agacer, d'autant plus que le dénouement s'avère bâclé. À tout ceci vient s'ajouter un propos guère convaincant qui peut se résumer en une seule formule : le fichage génétique, c'est pas bien ! Le message manque singulièrement de subtilité. Certes, l'écrivain s'interroge à raison sur la restriction des libertés qui découle des pratiques sécuritaires de fichage et de traçabilité. Hélas, il opte pour une approche frontale qui vient plomber une intrigue déjà pataude. Ainsi, l'espace d'un livre, et ceci de manière inattendue, Johan Heliot fait resurgir ce défaut récurrent de la S-F française : le militantisme. Bref, passons…
Avec Steppe rouge, on aborde l'autre grand versant de l'Imaginaire : la fantasy. Même si l'histoire de la Russie fournit quelques éléments du décor de ce roman, le récit fait surtout son miel des contes slaves. Le synopsis est simple, pour ne pas dire simpliste : des chasseurs de monstres menés par un prince orgueilleux sont assiégés, le temps d'une nuit, dans une isba isolée en forêt. Le serviteur fidèle à son maître, la jeune fille aveugle (elle sait toutefois lire dans le secret de l'âme), le jeune garçon courageux et débrouillard, quelques seconds couteaux, un cosaque impétueux, une foultitude de monstres empruntés au folklore slave et Baba-Yaga en guest star, Johan Heliot use une nouvelle fois des clichés les plus évidents. Il le fait toutefois ici avec un professionnalisme éprouvé, mettant efficacement à profit toutes les opportunités qui s'ouvrent à lui, et trouvant le dosage idéal entre scènes d'action et de suspense. Bref, Steppe rouge est un roman rondement mené où l'écrivain fait montre de son savoir-faire avec panache.
Avec Les Fils de l'air, on se prend à espérer le meilleur, l'uchronie étant le point fort de l'auteur. Hélas, à la lecture de l'ouvrage, notre enthousiasme est vite refroidi. La fuite aux Etats-Unis du roi Louis XVI et de sa famille sert de divergence initiale à une intrigue légère qui prend comme narrateur la fille aînée de l'ancien monarque absolu. Cependant, que les choses soient claires : si Johan Heliot prend le parti de réécrire l'Histoire, c'est avec l'intention de distraire son lectorat. Il ne s'embarrasse guère de la vraisemblance historique (ce qui surprend, surtout de la part d'un ancien professeur d'histoire), et se cantonne strictement aux effets ludiques qu'il peut tirer du réagencement des événements. En conséquence, peu importe si la causalité historique alternative paraît tirée par les cheveux. Peu importe si l'évolution psychologique des personnages historiques ne convainc pas vraiment. L'essentiel demeure de s'amuser. À l'instar des Aventures du nomade du temps Oswald Bastable (sous la plume de Michael Moorcock), Les Fils de l'air se présente ainsi comme une friandise sans conséquence. Malheureusement, le roman souffre d'un grave déséquilibre ; un peu comme si Johan Heliot avait couru plusieurs lièvres à la fois. Ceci est surtout visible dans les quatrième et cinquième parties. Les événements s'y précipitent irrésistiblement et le propos de l'auteur se fait plus confus. Il hésite entre le récit utopique — la naissance de l'Acadia — et la charge anti-napoléonienne, pour en définitive opter pour un mélange des deux qui s'avère le pire des choix. Et ce n'est pas le dénouement précipité qui contredit cette fâcheuse impression. Dommage…
Au final, on ne retiendra de ces trois romans que Steppe rouge — tant pour son souffle épique que pour son mélange réussi de suspense et d'aventure. Et on attendra le grand retour de l'auteur dans le domaine « adulte », en espérant qu'il se donnera le temps nécessaire à l'élaboration d'un livre mené de bout en bout.