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Les critiques de Bifrost

Super-héros de troisième division

Super-héros de troisième division

Charles YU
AUX FORGES DE VULCAIN
174pp - 16,00 €

Bifrost n° 92

Critique parue en octobre 2018 dans Bifrost n° 92

Un recueil de nouvelles par un des responsables de la série télévisée Westworld ? Un titre qui fleure bon le geek ? Une couverture assez particulière pour donner envie ? Ou simplement le dernier livre traduit de l’auteur du très intéressant Guide de survie pour le voyageur du temps amateur ?

Un recueil de nouvelles propose toujours un défi à son lecteur : comment comprendre les principes qui ont réglé sa composition ? À ce titre, Super-héros de troisième division donne pleinement satisfaction. En effet, il se révèle progressivement un ensemble de thème et de motifs qui reviennent, comme une ritournelle, et composent l’unité forte du recueil. Au moment où l’on perçoit la présence de cette unité, l’ensemble des textes devient particulièrement savoureux, même si parfois exigeant.

Nous trouvons par exemple les thèmes connexes des relations sociales et amoureuses, des problèmes de communication. Le tout forme, en un mot, un portrait assez pessimiste de l’homme moderne, lourd de sa complexe solitude dans un monde en perte de sens et d’humanité.

Les onze nouvelles utilisent les mécanismes de la science-fiction pour projeter ces questions dans des cadres qui les amplifient (amateur de Black Mirror, vous avez ici de quoi vous contenter). La première — qui donne son titre au recueil et retrace la carrière ratée d’un super-héros – est exemplaire. Le narrateur-personnage raconte ses misérables tentatives pour exister dans un monde où le superpouvoir est la norme. Mais au lieu d’exploiter un quelconque sense of wonder, Charles Yu opte pour un traitement réaliste de sa métaphore. Nous restons au plus près du personnage et de son infinie médiocrité.

De nouvelle en nouvelle, les mêmes personnages se trouvent toujours en butte contre quelque chose qui les écrase, les bride ou les limite. Dans « Plan épargne-retraite », il s’agit d’une vie basée sur la statistique la plus prudente, dans« L’Homme au désespoir silencieux prend quelques jours de vacances », les lieux sont autant de points de définition du désespoir, dans « L’Homme qui devint lui-même », ce sont les pronoms « je » et « il » qui s’affrontent pour permettre au protagoniste d’exister, partagé entre la première et la troisième personne du singulier.

Il y a aussi les nouvelles les plus étonnantes, où l’écriture se met au service du propos, comme « Problème sur l’étude de soi-même », qui prend la forme d’une équation mathématique, « Mes derniers jours en tant que moi », qui raconte la vie d’un acteur de sitcom dont le script et l’existence se mêlent étrangement.

La première nouvelle, grinçante, qui donne le ton à l’ensemble, «  32,05864991 % », et « Matière autobiographique pure qui ne saurait être exploitée pour créer une fiction », se dégagent nettement des autres. En elles se condensent à la fois une vision triste de la condition humaine, un magnifique travail d’écriture et l’envie de lire d’autres textes du même auteur.

Étienne BARILLIER

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