Les super-héros vieillissent aussi. David Brinkley, le plus grand d’entre eux, a pris sa retraite. Marié, deux enfants (sa femme l’appelle Pouchou), il poursuit son existence comme tout individu perdant ses cheveux et prenant du poids. Sa vie sexuelle n’a pas toujours été idyllique, entre des problèmes d’érection en tant que super-héros toujours sur la brèche ou face à des femmes qui ne voient pas l’homme mais fantasment sur ses supposées capacités sexuelles. Sous l’identité du journaliste de Metropolis, il se heurte au refus de sa fiancée qui se réserve pour son héros costumé. Aussi voit-il un psy, qui traduit en symptômes ses aveux de super-pouvoirs.
Brinkley est calqué sur Superman : originaire de la planète Cronk, il redoute la cronktonite qui lui fait perdre ses pouvoirs. Quand les aléas domestiques l’exigent, il recourt toutefois à ces derniers, déclinants, avec des résultats catastrophiques. Il n’est pas le seul super-héros inactif? ; certains ont disparu, d’autres, comme Captain Mantra, sont dans un sanatorium. C’est l’occasion qu’attendent les malfrats de tous bords, mais aussi les présidents de puissances étrangères, pour orchestrer un complot afin de le mettre hors d’état de nuire et mener leurs exactions sans crainte de représailles. Mais quand une série de crimes dévaste New York sans intervention de la police ou de collègues costumés, le super-héros bedonnant est bien obligé de reprendre du service.
Le récit se déroule dans les années 70, dans une Amérique qui doute d’elle : le Watergate et la guerre du Vietnam l’ont ébranlée, sa légitimité de gendarme planétaire est contestée. Un nouveau monde moins lisible se met en place, celui des puissances économiques qui progressent via des sociétés écran, ce qu’illustre dans le roman XYZ Industries, pieuvre industrielle aux multiples entreprises, avec les problèmes écologiques et les tensions sociales qu’elles induisent. On peut d’ailleurs voir dans la prolifération de la cronktonite une métaphore de la pollution. Miroirs de la société, les justiciers à la morale dichotomique ont peu de latitude pour régler les problèmes du monde moderne.
Écrit en 1977, ce roman est le premier à avoir donné un ancrage réaliste au super-héros et à le faire vieillir. Depuis, ces parodies se sont multipliées. Le préfacier rappelle qu’il influença Alan Moore (Watchmen) et Neil Gaiman (American Gods), et inspira probablement le film d’animation des Indestructibles. À destination des fans, le récit très référentiel multiplie les allusions et clins d’œil à son époque, avec un fort penchant pour le base-ball. Il en fait même trop, ce qui affaiblit sa dimension humoristique. Car les références vieillissent aussi, vu qu’il est nécessaire de les expliciter par des notes – excessives (201? !) et pour la plupart superfétatoires, elles agacent par leur inanité et donnent la désagréable impression d’être pris pour un ignare : on ne rit jamais quand on entreprend d’expliquer pourquoi c’est drôle.
Un sentiment de déception suit la préface et l’introduction dithyrambiques ayant survendu le livre avec des effets comiques peu probants. L’intrigue, parfois poussive, peine à intégrer les divers motifs du récit, se disperse parfois en suivant inutilement les agissements des malfrats. L’histoire reste malgré tout intéressante, ménage quelques bons moments et fourmille de détails drolatiques, d’autant qu’on ne peut négliger ici la dimension pionnière de l’ensemble. En définitive, le principal handicap de Supernormal vient sans doute de ce qu’il est traduit quarante ans trop tard.