John FLANDERS
TERRE DE BRUME
Critique parue en octobre 2018 dans Bifrost n° 92
Terre de Brume continue d’exhumer des textes de John Flanders, alias Jean Ray, pour les offrir à de nouvelles générations de lecteurs. Le grand écrivain gantois est aujourd’hui surtout connu pour ses écrits fantastiques, mais son œuvre est bien loin de ressortir exclusivement à son genre de prédilection ainsi que allons le voir ici.
Ce recueil est composé d’un excellent roman d’intrigue policière, L’Engoulevent, qu’encadre deux nouvelles d’aventures plus ou moins maritimes, plutôt orientées pour la jeunesse… La première, qui donne son titre au recueil, voit une partie de l’Angleterre submergée par un étrange phénomène et deux adolescents en fuite, poursuivis par une cohorte de pirates fantômes vraiment très méchants, issus d’une mutinerie. C’est le seul texte qui possède un caractère un tant soit peu fantastique sans pour autant qu’un authentique surnaturel y fasse irruption. L’aventure se termine dans des cavernes – un lieu hautement prisé de la littérature juvénile. On tient là un récit qui n’est pas sans analogie avec Les Contrebandiers de Moonfleet, film de Fritz Lang, mais avec un brin d’étrange en plus.
Rien d’étrange par contre dans « Les Prisonniers de Morstanhill », pure aventure pour la jeunesse, où, finalement, justice est rendue aux jeunes héros par le Robin des Mers de service tandis que les bourgeois du cru en prennent pour leur grade – obséquieux devant plus forts, puissants et redoutables qu’eux, mais de la plus implacable cruauté envers les pauvres et les faibles. La force de ces gens-là n’étant nullement inhérente à une quelconque grandeur qui leur fut propre, mais au contraire, juste l’expression de leur propension à écraser les petites gens et tous ceux que la vie place à leur merci.
L’Engoulevent constitue le plat de résistance de ce recueil. On a là une intrigue policière où l’auteur prend ses lecteurs par la main pour les perdre dans un labyrinthe de miroirs et de faux-semblants, brouillant les pistes à qui mieux mieux. L’Engoulevent est-il un génial malfrat ? Est-ce Bradfield ? Sinon qui ? Sont-ils plusieurs ? Complices ? Rivaux ? A-t-on affaire à un nouveau Robin des Bois ? Le lecteur a de quoi se perdre en conjecture parmi la foultitude de personnages s’il se laisse prendre au jeu de cette histoire trépidante où John Flanders s’amuse à faire des clins d’œil à Harry Dickson.
En fin de compte, ces récits penchent davantage du côté de L’Île au Trésor plutôt que de celui du Dr Jekyll, et rappellent ces histoires policières emberlificotées à souhait. Du divertissement de qualité rehaussé d’une juste pincée de satire sociale qui trouverait parfaitement sa place sur les rayons de littérature jeunesse. Un bon moment.