Guy Gavriel KAY
L'ATALANTE
576pp - 28,50 €
Critique parue en avril 2025 dans Bifrost n° 118
Doit-on encore présenter Guy Gavriel Kay ? Pour les troglodytes du fond, l’écrivain canadien écrit une fantasy historique dans un monde reflétant le nôtre comme dans un miroir baroque. Il a accessoirement été l’assistant de Christopher Tolkien lors de l’édition du Silmarillion.
Après avoir suivi une femme médecin pendant une Reconquista (Les Lions d’Al-Rassan) ou encore un mosaïste chargé de l’apparat de la coupole d’un sanctuaire rappelant Sainte-Sophie (Voile vers Sarance), nous voici dans ce nouveau roman en compagnie de Rafel Ben Natan et Nadia Bint Dihyan, un singulier duo. Lui est un marchand kindath, elle une ancienne esclave aux mains des asharites en Almassar ; eux deux parcourent la Mer du Milieu, entre rapines de corsaires et marchandage. Sur toutes les vagues… débute par la tentative d’assassinat d’un calife en Abénevèn, cité-État des rives méridionales de ce bassin autour duquel gravite quasi toute l’œuvre de Kay. De cet évènement découle un éboulis historique majeur qui entraînera notre duo à la rencontre des plus hautes instances de cet univers. Qu’il s’agisse du Haut Patriarche jaddite, de la « Reine des kindath » ou de capitaines légendaires, ce volume est une fresque d’un relief exquis dont chaque recoin est un évènement, une escarmouche ou une joute verbale. La diversité des lieux et milieux rompt néanmoins avec les volumes plus « statiques » de Kay dans lesquels il prend davantage le temps de décrire les us et coutumes des peuples qu’il peint. Le surnaturel ici se fait davantage sentir pendant le récit, par le biais d’une télépathie permettant de relier certains personnages à travers le temps et l’espace, sorte de lien entre les œuvres passées de l’auteur.
Sur toutes les vagues de la mer forme donc un plan large, partie d’un ensemble encore plus vaste composé des Enfants de la Terre et du Ciel et de Comme un diamant dans ma mémoire (critiqués dans nos numéros 93 et 111). Comme en sourdine derrière les tambours battants de cet opus, on entend également l’écho de la chute de Sarance (analogue à Byzance), bouleversement spirituel et cosmique s’il en fut. Qu’il s’agisse de l’amertume des rescapés de Sarance, des janissaires ou des nombreuses communautés kindath visitées, le livre compose habilement et progressivement une image poignante de l’exil. C’est à ce dessein probablement que le monde de Kay et ses personnages tournoient à un rythme de diable sur une mosaïque en tous points connectés au reste de son œuvre. Il semblerait bien que Guy Gavriel Kay en ait encore pas mal dans le ventre !
Pierre Constantin