Sarah Hall est une auteure britannique dont quatre romans ont déjà été traduits en français chez Christian Bourgois, l’un d’entre eux (La Frontière du loup) navigant en pleine SF, avec une Écosse indépendante. Sœurs dans la guerre est un brin plus ancien (2007), et obtint à l’époque le prix James Tiptree, du temps où celui-ci s’appelait encore James Tiptree Award…
Le roman s’ouvre dans une Angleterre dystopique, où l’Autorité régente tout : les habitants de Rith, ville de Cumbria, n’ont ainsi aucune liberté, vivent entassés dans des immeubles et vont tous les jours travailler sans aucune perspective d’avenir… C’est encore pire pour les femmes : de manière à réguler l’exploitation des ressources de ce monde post-apocalyptique, la natalité est contrôlée, toutes les femmes se voient imposer de porter un stérilet et une loterie décide de qui a le droit d’enfanter. Afin que cette politique soit scrupuleusement respectée, des contrôles aléatoires et pour le moins intrusifs sont réalisés par des vigiles. Bref, une dystopie de la plus belle eau. La narratrice du récit, dont on ne connaîtra jamais le prénom d’origine, décide de quitter cet univers, et avec lui son mari qu’elle ne supporte plus, pour s’enfuir dans la campagne, là où les gens sortent du giron de l’Autorité mais n’ont plus d’existence réelle (l’Autorité refuse d’admettre leur existence), obligés de subvenir à leurs propres besoins. Son but : rejoindre la communauté de Carhullan, dans les collines, un camp composé exclusivement de femmes éprises de liberté, d’autonomie et d’un retour bienvenu aux valeurs fondamentales d’entraide.
Le roman se présente donc comme les mémoires de Sœur (le seul nom qui lui sera attribué dans l’ouvrage) rédigées trois ans après le temps du récit, retrouvées plus tard encore, et que le lecteur découvre, parfois incomplètes. Sœur y raconte son arrivée dans la communauté, l’amitié instantanée de certaines des pensionnaires comme la défiance des autres, et comment, bon an mal an, elle va s’y faire une place, découvrant le fonctionnement du camp, par ailleurs décrit avec minutie et très crédible, au travers des tâches ménagères qui constituent l’essentiel de la vie de ces femmes. À la tête du camp, Jackie Nixon est sure de l’orientation qu’elle veut donner à son petit monde : vivre en indépendance, pour ne pas cautionner l’Autorité et ses débordements liberticides. Tout en sachant que cela n’aura qu’un temps, que le pouvoir en place ne pourra laisser passer le succès de la communauté. Alors faudra-t-il sans doute se préparer à la résistance, voire la guerre ; le titre original, un peu plus explicite que son équivalent francophone, est à ce propos sans équivoque : The Carhullan Army.
Roman au rythme lent, Sœurs dans la guerre doit beaucoup à la voix forte de sa protagoniste : elle décrit avec une intensité remarquable ses sentiments, qu’il s’agisse de sa vie passée, qu’elle évacue assez vite, ou de ses rapports avec ses congénères. Mention spéciale à ses relations avec Jackie : cette dernière se révèle ainsi tour à tour amicale et manipulatrice, et l’évolution de leur relation est remarquablement amenée, jusqu’à la dernière scène, d’un grand désespoir. L’aspect dystopique, s’il imprègne l’ensemble du texte, est quant à lui plus discutable, notamment cette Autorité, pouvoir monolithique dont on ne verra jamais le visage : comment peut-on exercer une telle coercition sans être davantage présent ? Mais sans doute le propos de Sarah Hall n’est-il pas dans la description in extenso d’une société dystopique, mais bien plutôt dans celle d’une communauté de femmes aspirant à mener leur existence comme elles le souhaitent, quelles que soient leurs raisons ; Hall laisse du reste intelligemment planer le doute sur celles-ci, toutes ne sont pas là pour se réfugier du mal qu’on leur a fait.
Roman dense, marqué par des personnages forts et émouvants à la fois, Sœurs dans la guerre trouve ainsi sa place dans une longue lignée de livres féministes sans concession.