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Les critiques de Bifrost

Symposium, Inc.

Symposium, Inc.

Olivier CARUSO
LE BÉLIAL'
176pp - 9,90 €

Bifrost n° 104

Critique parue en octobre 2021 dans Bifrost n° 104

Demain. Stéphane Bertrand, pointure des neurosciences, a mis au point une technologie de scanners et d’implants neuronaux ouvrant la voie à une connaissance plus approfondie des ressorts du système nerveux et, partant, de l’esprit humain. N’importe qui peut, à tout moment, consulter ses constantes physiologiques et les corriger par de discrets shots d’hormones sous la forme de bonbons à sucer. Ces mécanismes de régulation de l’humeur et du comportement n’empêchent pourtant pas Rebecca, la fille du bon professeur, d’avoir une araignée au plafond. Le jour de son dix-huitième anniversaire, elle assassine sa mère à coups de couteau avant d’attaquer tranquillement le gâteau. Le caractère odieux du crime, tout comme la célébrité de la famille, ouvre une séquence procédurale médiatisée qui vire très vite au lynchage. Les réseaux sociaux, autoproclamés tribunal d’opinion, ont condamné Rebecca d’avance. Pour éviter à sa fille la perpétuité, le professeur Bertrand engage Amélie Lua, ténor du barreau parisien, réputée pour sa pugnacité, sa rouerie et sa maîtrise des codes de l’information-spectacle. Dans ce nouveau monde où les émotions gouvernent les foules sentimentales, il est toujours possible, avec les bons outils, le bon réseau et le bon timing, de retourner les futurs jurés du procès. Mais l’avocate, qui connaît son employeur de longue date et ne le porte pas forcément dans son cœur, voit peut-être dans cette affaire du siècle l’occasion de solder aussi quelques comptes…

Sous son habillage de techno-thriller efficace, Symposium Inc. n’est pourtant pas réductible à une dénonciation des méfaits d’un capitalisme paroxystique où la marchandisation touche autant le corps que l’esprit, pas plus qu’il se contente de l’examen des bassesses de la société du spectacle. Le livre traite du bien et du mal – vus de l’avenir. La technologie neuronale inventée par le professeur Bertrand est son péché originel. Mais cette société future perdue pour la morale ne peut que la feindre. Face aux masses hormonales figurées par les réseaux sociaux, sanctuaire du vice, le bien promis par la science est une autre caricature. Le mal, enfin, plus que le crime, c’est le libre arbitre. Ce qui intéresse Caruso, c’est la rencontre conflictuelle entre deux visions, celle du droit, qui postule la liberté de choix de l’individu et donc sa responsabilité, et celle de la science, qui affirme la primauté de l’anatomie sur l’autonomie. Un homme est-il la somme de ses constantes neurologique ? La personnalité est-elle modifiable par la chimie ? Comment peut-on encore avoir prise sur le monde, et éprouver de l’intérêt à agir, une fois qu’on a renoncé à soi-même pour le bien commun ? La notion même de justice a-t-elle encore un sens si la science peut tout prédire ? Telles sont quelques-unes des questions que dévoile le récit au fil d’une enquête à tiroirs où les sphères juridiques, technologiques, privées et publiques s’imbriquent constamment. Caruso ambitionne de tout traiter dans un même mouvement, de ne rien laisser dans l’ombre, la vie sentimentale comme l’existence sociale, s’appuyant sur un parti pris formel (phrase sèche, utilitaire) et une construction éclatée (alternance des points de vue, incrustations de commentaires figurant la vox populi) pour donner à son intrigue la forme d’un rébus post-moderne au rythme haletant. Chaque séquence est traitée comme un bloc autonome qui vient éclairer, ou obscurcir, l’information délivrée dans le précédent. Tout cela s’accompagne d’une réelle habileté à faire émerger et évoluer des personnages, même s’il leur arrive parfois de se perdre dans une forme de caricature.

À la lecture, on ne peut s’empêcher de penser à Greg Egan, qui a construit nombre de ses récits sur des bases similaires. Symposium Inc. ne pousse peut-être pas son concept jusqu’au bout, comme l’auteur australien nous en a habitué. Il se contente de nous faire cogiter, avec intelligence et lucidité, devant l’incertaine défaite de l’avenir. Ce qui n’est déjà pas si mal.

Sam LERMITE

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