Adriana LORUSSO
BRAGELONNE
594pp - 22,00 €
Critique parue en novembre 2007 dans Bifrost n° 48
Sur la planète asiatico-tropicale Ta-Shima vit une société post-humaine divisée en deux castes : d'un côté les Shiro (des samouraïs, pour simplifier), et de l'autre les Asix (des Haïnus, sans doute, puisque Ta-Shima est une métaphore du Japon médiéval). Shiro et Asix, maîtres et esclaves ? Oui et non… disons plutôt deux groupes vivant en une symbiose déséquilibrée, l'un étant clairement au-dessus de l'autre.
C'est sur Ta-Shima qu'a grandi Lara, une Shiro. Forcée de fuir sa planète natale (du moins, l'a-t-elle cru), elle est devenue doctoresse dans l'extramonde sous le nom de Suvaïdar Huang. Mais à la suite du décès plutôt suspect de sa mère (qui était l'équivalent du shogun, mais un shogun progressiste), voilà que Suvaïdar est fortement priée de rentrer chez elle. Le voyage interstellaire, en compagnie de soldats, d'un érudit et d'un ambassadeur fraîchement nommée sera long, très long. Et tournera au drame avec le viol de Keri, une Asix victime de la concupiscence criminelle de cinq soldats aussi cons qu'une performance de Jackass.
Quel ennui ! Que de bavardages inutiles ! La virée est longue et les étapes aussi palpitantes qu'une balade autour d'un champ de cent hectares en pleine Beauce. Les 600 pages du pavé se découpent (à peu près) ainsi : 180 pages d'exposition mollassonne en guise de préliminaires, deux pages de viol, puis un flash-back assez fort sur l'épreuve du passage à l'âge adulte, puis 300 pages de remplissage, ou presque, et, enfin, 100 pages où l'auteur retrouve son intrigue (le meurtre de maman) pour y mettre un terme de façon fort discutable, tant sur le plan de la technique narrative que sur le plan politique.
Roman mal construit, donc, mais aussi mal écrit, car Adriana Lorusso ne sait pas comment raconter son histoire (point de vue de Suvaïdar ? narration omnisciente ? point de vue de tartempion ?) ; elle jongle sans cesse entre les différentes techniques d'écriture et le résultat final ne donne pas grand-chose (sans compter quelques redites et des contradictions qu'une lecture attentive aurait dû éliminer). Il n'y a pas de ton. Aucune « petite musique ». Rien qui vous pousse à continuer votre lecture.
Malgré ce constat amer, on trouve des choses intéressantes dans ce premier roman d'Adriana Lorusso : la transposition (déformée) de la société japonaise sur une planète extraterrestre ; les liens Asix/Shiro ; la problématique de l'eugénisme tel qu'il est pratiqué par les Shiro. Mais tout ça ne suffit pas à retenir l'attention du lecteur. Adriana Lorusso croit sans doute que tout ce qu'elle raconte est intéressant, malheureusement ce n'est pas le cas ; et là où 250 pages auraient suffi (et auraient probablement donné un livre proche de ce que fait Karen Traviss chez le même éditeur — La Cité de Perle, Transgression), elle nous en inflige 600.
À la lecture de ce roman, deux chefs-d'œuvre de la science-fiction me sont venus à l'esprit : Emphyrio de Jack Vance et Les Maîtres-chanteurs d'Orson Scott Card. Des réminiscences signifiantes, car il y a chez Card et Vance (qu'on aime ou pas leurs opinions politiques) un talent qui fait grandement défaut à Lorusso, celui de conteur.
Au final, Ta-Shima — bravo pour la couverture à se vomir sur la langue ! — est probablement le plus beau pétard mouillé du premier semestre 2007 ; en tout cas, un livre qui n'aurait jamais dû paraître avant d'avoir été débroussaillé au Gravely 5665.