Telle une tumeur maligne, les métastases de Lanvil ont infecté tout l’arc antillais, arasant le socle rocheux des îles et comblant les golfes de la mer des Caraïbes. Du Venezuela à Cuba, la skyline orgueilleuse de la mégapole tutoie ainsi le ciel, déployant sur les murs écrans de ses tours vertigineuses une high-tech aguicheuse. Dans cet eldorado hygiéniste, tout est possible, du moins si l’on peut s’offrir le confort et la sécurité. Car, si les habitants de l’anwo sont triés sur le volet, ceux de l’anba continuent de croupir dans la misère, réduits à la servilité par les corpolitiques ou contraints de vivre sous la coupe des mafias et de leurs soldas. Mais, la révolte gronde dans les bas-fonds de cette Babel. Tous ne souhaitent que renverser l’ordre établi. Tous ne souhaitent qu’abattre les tours de la mégapole pour mettre fin à la ségrégation verticale.
Après deux romans ressortissant au fantastique, l’un consacré à Peter Pan et l’autre au Roi en jaune, Michael Roch nous revient avec un récit lorgnant vers le cyberpunk. Bien entendu, l’auteur ne pouvait se contenter d’une énième variation autour de ce courant né dans les années 1980, à l’initiative de Bruce Sterling et William Gibson. Il opte ainsi pour une hybridation textuelle et linguistique, mêlant l’esthétique high-tech du cyberpunk au concept de créolisation cher à Édouard Glissant. Un pari audacieux et réussi. Tè Mawon apparaît en effet comme une expérience stimulante où le classicisme intrinsèque de l’intrigue s’efface peu à peu, laissant place à une quête de nature plus mystique et politique. Au-delà des hackers et de leur déclinaison flibustière, au-delà des ayi/IA et autres loas, au-delà des miracles de l’hypertech et de leur supposée valeur émancipatrice, au-delà même de l’éternel recommencement révolutionnaire, prospérant sur la réactivation ad nauseam des antagonismes de classe, Michael Roch propose une reconnexion avec autrui et avec notre environnement pour nous affranchir du dogme illusoire d’une modernité univoque. Dans une langue riche et travaillée, faisant écho aux possibilités ouvertes par le métissage culturel, il nous invite à nous frotter à la multiplicité des regards portés sur notre monde, où plus que jamais prévalent la rencontre, l’interférence et le choc. Il nous enjoint enfin à la lutte pour nous extraire du conformisme mortifère des idéologies afin d’explorer les angles morts de la prospective science-fictive.
Roman exigeant à plus d’un titre, Tè Mawon est donc un récit ouvert sur la diversité des imaginaires, prônant la transversalité et la créolisation des genres dans une perspective résolument optimiste. Incontestablement une piste à creuser.