Teenage Lobotomy évoque furieusement le roman de Ballard Sauvagerie (ex Massacre de Pangbourne, Belfond), et n’est pas si éloigné que ça des préoccupations tardives du grand écrivain anglais.
C’est l’histoire d’Alan Jones, photographe de cul par profession, nanti d’un père, d’une mère et d’une sœur, Missy, ainsi que d’un patron. Tout commence lorsqu’il a le mauvais goût de faire un infarctus un soir de Noël… Vous me direz ne pas bien voir le rapport avec les ados preneurs d’otages de la quatrième de couverture, et je vous concéderai qu’on en est assez éloigné mais que, de fil en aiguille, tout un enchaînement d’événements en apparence fortuits y conduira. Après l’infarctus, le premier tiers du livre se pare des atours du drame familial où Missy occupe le devant de la scène, les parents juste derrière… Durant la convalescence de Jones, divers éléments liés à la Syrco, un labo pharmaceutique, se mettent en place et semblent a priori sans importance. Pour Jones, ils apparaissent comme tout à fait fortuits ; ensemble d’incidents, de micro-événements dont est tissée la vie de tous les jours. Mis au vert, Jones croise dans l’établissement de repos où il se rétablit les Basden, une famille dont le père, pharmacologue, a mis au point le produit phare de la Syrco, le Fluvotril, connu comme drogue de l’obéissance destinée aux ados indisciplinés tel que son fils.
Quand Klebold électrocute ses parents, on a l’impression d’entrer dans un autre livre. La famille Jones cède le devant de la scène à d’autres personnages : l’inspecteur Lafleur, chargé de l’enquête ; Richard Kean, qui dirige un centre pour adolescents violents où le Fluvotril est utilisé. Vient se poser la question de savoir si le Fluvotril n’aurait pas de redoutables effets secondaires, et ne serait pas responsable du passage à l’acte meurtrier de certains ados. La Syrco s’en défend. Alan rencontre Richard Kean qui dirige le centre de Firnone où est, entre autres, traité Klebold. Notre photographe prend lui aussi des calmants. Il commence à être victime d’hallucinations et à se voir un peu partout à l’age de six ans… Puis un événement fortuit survient, qui achève de faire voler en éclats l’univers des Jones. Le séisme ébranle la famille et les cadavres sortent du placard. Le puzzle des réminiscences finit par triompher du refoulement. Tous les événements ne semblant en rien liés finissent par entrer en résonance pour révéler, au personnage comme au lecteur, qu’Alan Jones est lui-même un… A vous de lire.
Ce roman fonctionne à la manière d’une toile d’araignée. Toute la trame du récit, en apparence due au seul hasard, a été minutieusement élaborée par l’auteur. Chaque événement touche un fil qui fait vibrer l’ensemble, et cette vibration est éminemment spéculative. S’il ne répond pas à la question des effets secondaires du Fluvotril, ni à celle de savoir si un psychotrope pourrait se substituer à l’éducation, voire à la morale, le roman donne à réfléchir tandis qu’en sous-main l’auteur laisse comprendre ce que lui préconiserait…
Fabien Henrion n’est pas Ballard : les mécanismes qu’il choisit de mettre en exergue sont davantage psychologiques que sociologiques. En revanche, la question de savoir quelle place nos sociétés laissent à l’individu est, elle, bel et bien ballardienne. Teenage Lobotomy est intéressant par les questions qu’il soulève, non par les réponses qu’il n’apporte pas…