Dernier thriller en date de Sylvain Forge, Tension extrême a obtenu le Prix du Quai des orfèvres 2018, prix décerné annuellement à un roman policier par un jury présidé par le Préfet de Police de Paris et composé d’un aréopage de professionnels du droit pénal et de la procédure éponyme. Ceci explique peut-être cela. Car Tension extrême n’est pas un bon roman, mais il est écrit pour eux.
Nantes, aujourd’hui. Deux hommes, jumeaux et porteurs du même modèle de pacemaker, succombent simultanément à une défaillance destructrice de leur implant cardiaque. Il est vite évident que les défaillances ont été provoquées de l’extérieur. On découvre bientôt que c’est le téléchargement d’un virus, lors d’une mise à jour sans fil de l’implant, qui a rendu le sabotage possible. Car le pacemaker était « connecté », comme le sont aujourd’hui nombre d’objets, du réfrigérateur à la montre en passant par les boxes, les téléphones ou les voitures. Un « internet des objets » dont les spécialistes savent qu’il est peu sécurisé et donc vulnérable à des attaques aux objectifs variés. Jusque là, ça va. Pourquoi ne pas aborder ce thème d’actualité dans un roman policier ? Et pourquoi ne pas en faire un thriller dans lequel un génie diabolique de l’informatique menacerait de répandre un virus très dangereux dans la nature à une date symbolique pour lui ?
Trois cent quatre-vingt-dix pages, soixante-quatorze chapitres, dans mon expérience, ce n’est jamais très bon signe. Ca se vérifie ici. Le rythme trépidant que trouve l’auteur l’est au détriment de toute écriture ou caractérisation. Le style est au mieux nonchalant. L’auteur abuse d’un argot censé « faire flic » mais qui fait juste vieux. Beaucoup d’idées ou de situations sont évacuées en quelques lignes, dans un saupoudrage qui donne parfois l’impression qu’on lit le plan détaillé d’un roman à écrire. Les personnages (le vieux flic qui en a vu ou la nouvelle surdiplômée ; sans oublier les toppings « qui font vrai et émouvant » comme le désir d’enfant, la mort de la mère, ou les secrets de famille, le tout totalement hors du sujet principal et vite expédié aussi) reprennent les clichés faciles des romans policiers. Les développements informatiques, pas toujours exempts d’erreurs techniques, sont souvent confus quand ils ne sont pas amusants de naïveté. En revanche, les noms complets des services policiers (jusqu’à leur localisation sur la carte de France) ou des procédures utilisées ont dû ravir le jury du Prix, même si l’auteur confond allègrement meurtre et assassinat par exemple.
Pour qui a été écrit ce roman ? Je vois deux publics cibles. D’abord, le jury du Prix du Quai des Orfèvres. Le passage en revue des services et des techniques de police (jusqu’aux fichiers spécialisés) a sûrement plu à un jury de professionnels qui a pu entrer dans ce roman comme dans ses pantoufles. Choix narratif gagnant pour l’auteur. D’autre part, des lecteurs très peu regardants sur l’écriture (ou même la construction interne de l’histoire) à la recherche d’un divertissement qui leur donnera le sentiment d’avoir découvert quelque chose sur une menace qui nous environnerait et sur laquelle nous saurions trop peu. Grâce au roman, ils pourront briller en informant leurs amis sur le dessous des cartes. Carton plein pour eux ! Rien en revanche pour les lecteurs de Bifrost.