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Les critiques de Bifrost

Téranésie

Greg EGAN
ROBERT LAFFONT
312pp - 21,20 €

Critique parue en octobre 2017 dans Bifrost n° 88

Le jeune Prabir n’a jamais connu que cette île des Moluques où il vit avec ses parents, des biologistes indiens, et sa petite sœur Madhusree. Surdoué mais atteint d’un léger souci génétique, Prabir n’a pas le droit d’interagir avec les papillons que ses parents étudient. Des papillons étranges, dont le génome ne respecte pas les lois de l’évolution. La nuit où Prabir désobéit et pénètre dans la serre aux papillons, l’île est bombardée : le conflit qui faisait rage au loin vient de rattraper brutalement ce coin de paradis. Leurs parents étant décédés dans le bombardement, les deux enfants sont envoyés chez de la famille au Canada. Vingt ans plus tard, l’un et l’autre n’auront de cesse de tenter de retourner sur cette île, à laquelle Prabir avait donné, pour s’amuser, le nom de Téranésie. C’est d’abord Madhusree, devenue biologiste, qui s’y rend ; désireux de veiller en toutes circonstances sur sa sœur, au risque de l’étouffer, Prabir fait tout pour la retrouver, et arpente la mer des Moluques en compagnie d’une scientifique. Mais la situation politique demeure compliquée en Indonésie. Surtout, des espèces mutantes apparaissent régulièrement, représentant peut-être un danger pour le reste du monde… Téranésie a pour faiblesse de suivre deux récits ambitieux. Délaissant la physique pure et dure, Egan a cependant le mérite d’aborder d’autres thématiques : la biologie est en position de force dans ce récit. La sexualité aussi : si Andrew Worth tombait amoureux d’un asexe dans L’Énigme de l’univers, Prabir est ouvertement homosexuel (pas le premier ni le dernier protagoniste à l’être dans l’œuvre d’Egan). Préfigurant Zendegi, la politique y fait aussi irruption, évoquant la situation compliquée des Moluques-du-Sud, les visées impérialistes de l’Indonésie et la réponse calamiteuse de l’Australie face à la question des réfugiés. Néanmoins, les tentatives d’humaniser et de rendre attachants les personnages tournent ici court : le parcours de Prabir n’émeut guère, pas plus que son sentiment de culpabilité. Autres motifs de déception : l’aspect accessoire de la thématique (téra-) biologique, et l’intrigue qui louvoie durant la moitié du roman, sans oublier une résolution en queue de poisson. Téranésie s’avère cependant d’un accès plus simple que les autres romans d’Egan, le lecteur n’étant jamais perdu sous le déluge de notions scientifiques — celles-ci se faisant plus rares ici. Mais de la part d’Egan, qui a habitué à l’excellence, on en attend juste davantage côté spéculation et vertige. Un récit mineur dans l’œuvre du maître.

Erwann PERCHOC

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