Le prologue du roman s’ouvre sur une vision de l’apocalypse : deux soleils, un paysage de glace où lévitent tête en bas une multitude de crucifiés. Pour achever sa formation, Shannon Moss, agent spécial du NCIS, est envoyée en 2199 pour observer le Terminus, la fin du monde. Elle en revient avec une blessure qui nécessite l’amputation d’une jambe au dessus du genou et un traumatisme psychologique. Au début des années 80, grâce à la physique quantique, les États-Unis ont mis en place un programme ultrasecret de voyage dans l’espace-temps. Plusieurs vaisseaux ont été expédiés en mission d’exploration. Certains sont revenus, d’autres se sont perdus à jamais. Après sa formation, Moss est amenée à enquêter sur un meurtre brutal, dans son temps présent à elle, en 1997. Patrick Mursult, un marine qui a fait partie du programme Eaux Profondes, semble avoir sauvagement assassiné sa famille. Sa fille aînée, Marian, a disparu. Moss est envoyée dans une TFI (trajectoire future inadmissible) pour recueillir des indices. Si on ne voyage pas vraiment dans l’avenir, mais dans des avenirs possibles dont la probabilité de les voir se réaliser reste inconnue, ces sauts dans le temps permettent parfois de résoudre des affaires ou de prévenir des crimes dans la temporalité initiale. Moss espère ainsi retrouver Marian vivante. Problème : Patrick Mursult est considéré comme mort en mission avec l’équipage du Balance perdu en Eaux Profondes. Sa réapparition coïncide avec un autre phénomène : le Terminus se rapproche inexorablement, dans toutes les trajectoires explorées. L’enquête de Shannon Moss se double d’une course contre la montre et contre la mort à travers temps.
En plus d’offrir un thriller addictif, Tom Sweterlitsch joue avec le temps de manière fascinante. Quand elle fait un saut dans une trajectoire, Shannon Moss vieillit au prorata des mois passés dans celle-ci. Mais son retour se fait quelques secondes à peine après son départ. Le décalage entre son âge réel et l’âge perçu se creuse encore lorsque ses sauts sont lointains : pour les gens qui l’ont connu dans le passé (en réalité des échos de personnes réelles), elle n’a pas vieilli. Ce serait presque anecdotique si elle n’avait pas en plus conscience que les trajectoires potentielles s’effacent à chaque retour dans la réalité et que ce qu’elle y vit n’existera plus que dans sa mémoire. Sa vie se résumant à une illusion (et à plus d’un titre, comme elle le découvrira), seule sa mission fait sens. Elle est prête à lui sacrifier son existence. La pression qui pèse sur ses épaules s’alourdit encore lorsqu’elle se rend compte que les informations qu’elle ramène de ses explorations contribuent à précipiter l’arrivée du Terminus. Tom Sweterlitsch ne laisse aucune place au hasard ou à l’approximation. Chaque fait évoqué compte, peu importe la trajectoire de réalisation, et peut influer sur le présent. Sa maîtrise des intrigues, de leur imbrication et du rythme impressionne tout autant que la caractérisation des personnages. En imaginant des futurs potentiels effrayants de vraisemblance et en choisissant une narration au plus près de Shannon Moss, l’auteur maintient son lecteur en haleine jusqu’à la fin, elle-même sujette à différentes interprétations. En physique relativiste, la réalité existe au sein d’un espace-temps qui ne s’écoule pas dans une seule direction. La distinction entre passé, présent et futur n’est qu’une construction. Passé et futur sont simultanés. Si l’avenir est déjà écrit, quelle possibilité pour Shannon Moss d’éviter qu’advienne la fin des temps ? Seule certitude, Terminus est un roman brillant qui remue autant les tripes que les méninges.