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Les critiques de Bifrost

Terminus Radieux

Terminus Radieux

Antoine VOLODINE
SEUIL
624pp - 22,00 €

Bifrost n° 77

Critique parue en janvier 2015 dans Bifrost n° 77

Presse dithyrambique, Pierre Jourde satisfait, Prix Médicis. Faut-il en dire plus ?

Terminus radieux est le dernier roman post-exotique d’Antoine Volodine. Le post-exotisme, SF qui ne veut pas en être, collective, fascinée par l’idéal communiste, dont Terminus radieux serait, si l’on en croit son titre, l’aboutissement.

Fini de temporiser. Je me lance.

Terminus radieux est inracontable. C’est une expérience à vivre.

Contexte : futur, date indéterminée, taïga. La Seconde Union Soviétique, mondiale celle-là, s’est effondrée sous l’assaut de forces contre-révolutionnaires backstage. Effondrement politique, social, mais aussi écologique. Les innombrables mini-réacteurs nucléaires qui réalisaient le rêve écolo-productiviste d’une décentralisation énergétique à la soviétique ont failli, engloutissant d’immenses zones sous les radiations. Hommes et bêtes meurent. La civilisation avec eux.

Dans ces limbes, deux « lieux ».

Un train en route pour un hypothétique camp de prisonniers où pourraient vivre enfin heureux, car régulés, les soldats et prisonniers qui le conduisent dans une stricte égalité communiste. Le camp comme réalisation parfaite du rêve totalitaire d’ingénierie sociale marxiste-léniniste. Sloterdijk et sa domestication du parc humain ne sont pas loin.

Un kolkhoze, « Terminus radieux », gouverné par Solovieï, sorte d’ogre chaman omnipotent, entre Staline et Raspoutine, qui s’introduit dans les rêves et les façonne. Y vivent aussi la mémé Oudgoul, liquidatrice rendue immortelle par les radiations, les trois filles de Solovieï, victimes de ses viols psychiques, et quelques autres, plus ou moins contrôlés par lui. L’arrivée de Kronauer, soldat déserteur qui a conservé un semblant d’indépendance, déséquilibre la mécanique du lieu.

Terminus radieux est l’histoire de ces lieux, de ceux qui y vivent, si peu. Chacun raconte son histoire, dans ces mots qui fuient progressivement le monde. Noms et lieux s’effacent des mémoires. Les livres aussi, brûlés pour se chauffer. Avec eux s’éteignent le savoir technique et l’idéologie omniprésente. C’est dans les mémoires, les réflexes, les tics de langage qu’elle survivra le plus longtemps, pierre de Rosette d’un monde enfoui.

Lire Terminus radieux, c’est partir pour un voyage vers la fin de tout, entre rêve et réalité. Il faut pour cela abandonner toute rationalité. Dans un monde qui s’éteint, qui retourne au végétal, aucune assise stable sur laquelle s’appuyer. Le temps est élastique. Les distances incertaines. Les humains vivants, ou morts, ou presque morts, ou régulièrement ressuscités ; en état d’indétermination quantique, des communistes de Schrödinger. Qu’importe. Tous agissent, à leur façon, en dépit d’identités devenues poreuses.

C’est aussi lire un roman très écrit, plein d’images, de néologismes végétaux, doté d’un rythme presque hypnotisant. Un roman encore dans lequel on sent une ironie pince-sans-rire, une prise de distance par rapport à une langue révolutionnaire des origines utilisée avec une ferveur détachée qui en souligne le caractère religieux. Quant à l’idéologie, mourante comme le reste — mots, pensée, systèmes —, son dernier avatar est le féminisme étymologiquement hystérique et profondément non humain de Maria Kwoll. La domination masculine comme blueprint de toutes les autres.

Une lecture très russe dans le ton, entrainante en dépit du fond, jamais ennuyeuse, toujours surprenante.

Éric JENTILE

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