Connexion

Les critiques de Bifrost

Terrariums

Romain BENASSAYA
CRITIC
23,00 €

Bifrost n° 114

Critique parue en avril 2024 dans Bifrost n° 114

La question de Fermi est simple à formuler, mais, comme tout bon problème scientifique, elle n’admet pas de réponse évidente. Pourquoi n’avons pas encore été visités par des représentants d’une civilisation extraterrestre plus avancée que la nôtre ? La résolution de cette question se trouve, sans qu’elle soit citée, sauf erreur, au cœur de ce cinquième roman de Romain Benassaya. Un artefact extraterrestre, sur une planète lointaine, témoigne que quelqu’un d’autre est passé par là. S’opposent alors deux approches : étudier l’objet pour savoir quelles étaient les intentions des lointains prédécesseurs de l’humanité en ces lieux reculés… ou bien l’ignorer tout à fait. Par les très vieux mythes que recèlent les contes dits « de fée », on sait que la première option est le chemin le plus sûr vers l’horreur (quand on ne comprend pas quelque chose, mieux vaut ne pas y toucher), mais que ce chemin est aussi celui qui conduit à la résolution heureuse à travers le cauchemar (« ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ») : sans surprise, le schéma de l’auteur est presque un calque de ce type de conte. Les personnages humains se mettent en danger en raison de leur curiosité, en payent le prix et finissent par trouver la « bonne solution » au fil des épreuves. Celles-ci tiennent à la fois de la punition (parce que l’échec, moins qu’imposé par les circonstances, est construit par celui qui l’éprouve) et de l’étape dans le chemin de vie (car les personnages qui les subissent deviennent des figures mythologiques). L’ambition de Romain Benassaya se dévoile dans la seconde moitié du roman : Terrariums est un space opera aux accents évhémériques, mais dont les dieux-en-devenir sont souvent confrontés à leur incomplétude, quand ce n’est pas à leur incompétence.

 

Terrariums, afin de satisfaire son ambition, jongle avec plusieurs époques et deux lignes narratrices impliquant les mêmes personnages. La première ligne démarre au moment de l’irruption de l’artefact extraterrestre dans l’Histoire humaine, quand les personnages centraux de l’intrigue se rendent sur place pour sceller le destin de l’espèce tout entière ; la seconde se passe dans un futur difficile à définir (au moins dans un premier temps) où les mêmes personnages s’éveillent avec des souvenirs tronqués – voire même truqués – dans un terrarium où tout laisse à penser que quelqu’un les regarde et les étudie. L’alternance entre les deux lignes est matérialisée par l’emploi de symboles associés à l’en-tête du chapitre, que l’on repère aussitôt et dont on comprend la valeur narrative avant d’en saisir le sens. La structure, originale, s’adapte assez bien aux intentions de l’auteur. Toutefois, les informations capitales à la résolution du problème ne sont pas toujours distillées avec le soin espéré, voire, dans un cas extrême, sont assénées au lecteur sans aucune préparation ou indice antérieur. Le tonus du texte s’en ressent, les péripéties liées à l’exploration du « terrarium » (le pluriel du titre ayant sa justification interne) s’étirant parfois un peu trop en longueur, et leurs scènes d’action n’apportant de toute façon qu’assez peu à la résolution de l’énigme du roman. Quant à la question de Fermi, elle trouvera des éléments de réponse que le lecteur de cette chronique devrait savoir deviner – mais que l’auteur a le bon goût de dépasser, optimisme des contes, dits « de fée », oblige…

Terrariums laisse donc une impression mitigée. L’évhémérisme en contexte SF, ça peut être passionnant (on se souvient du Monde du Fleuve de Philip José Farmer), et la question de Fermi pouvait fort bien s’y combiner avec bonheur : on pourra regretter ici que l’exécution n’ait pas tout à fait rendu justice à l’ambition.

 

Arnaud BRUNET

Ça vient de paraître

L’Éveil du Palazzo

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 115
PayPlug