XIVe siècle, Amazonie. U’tal, jeune adolescent Guarani, décide de quitter son peuple dont il rejette les rituels barbares et violents censés servir leurs divinités. Il part à la recherche de la Terre sans mal, lieu d’équilibre et de paix, refuge pour les hommes quand surviendra la fin du monde. Il croit l’atteindre lorsqu’il est happé par une vive lumière blanche qu’il prend pour une invitation du dieu Namandu.
Fin du XXIe siècle, la Lune et Mars sont colonisés, la Terre enlisée dans ses problèmes économiques, écologiques et géopolitiques, lorsque : « Les extraterrestres arrivent. Ils ont un marché à nous proposer ». Leur émissaire : U’tal. Ce qu’il a à nous proposer : un cas de conscience. On se gardera d’en dire davantage afin de ne pas totalement déflorer l’intrigue.
La première partie du roman est très prometteuse, servie par une plume alerte et délicate, on suit les aventures du jeune Guarani en pleine quête utopique. Même si on frôle parfois le naturalisme contemplatif et qu’on évolue très loin de tout univers S-F, on est transporté par la verve poétique de Martin Lessard. Pour la suite, on retrouve bien quelques canons du genre : base lunaire, station martienne, nef extraterrestre… au travers desquels l’auteur nous propose une réflexion philosophique et politique sur notre société. Hélas, on enfonce avec lui des portes ouvertes sur plus de quatre cent pages. La quatrième de couverture précise : « Martin Lessard décrit de façon réaliste, avec une ambition peu commune, l’impact d’un premier contact extraterrestre sur les plus hautes sphères du pouvoir mondial. » Eh bien… non. L’ambition ne peut se contenter de jongler avec les stéréotypes, les poncifs et les clichés éculés : les méchants chinois qui vont nous envahir, la gentille petite fille riche qui rêve de révolution, le méchant président américain et son pouvoir sur le monde, le scientifique cupide qui tire les ficelles… Pour une fois on aurait aimé cent cinquante pages supplémentaires afin de complexifier un peu tout ça. Tout est tellement simple et manichéen dans ce roman. C’est commode et confortable, comme un bon vieux discours prémâché, une utopie béate, simpliste et qui n’engage à rien. Les gentils sont d’un côté, les méchants de l’autre. Dans le doute, la signalétique est développée afin que personne ne s’égare, on ne sait jamais. Au final tout le monde a saisi, tout est clair, on peut dormir tranquille et fier de sa participation active à la compréhension du monde qui nous entoure… Gageons que l’intention était bonne, mais quant au résultat il s’avère décevant. Pour le moins.
Sur la forme, on peut parler d’efficacité. Martin Lessard a cerné les arcanes de l’écriture de S-F grand public. Le style est fluide, les séquences sont rythmées, l’ensemble donnant quelque chose de très scénaristique. Simple et efficace. Quant au fond… eh bien, chacun aura compris qu’il n’y en a pour ainsi dire pas.
A noter quelques allusions au genre, sûrement en forme d’hommage : la station martienne se nomme KSR (Kim Stanley Robinson), les convoyeurs interplanétaires, Asimov, Bradbury, Clarke et Dick (« ABC Dick » !). Ces quelques références pouvant d’ailleurs paraître un peu too much et agaçantes.
Hélas, l’exercice du « hats off » pousse souvent le lecteur à la comparaison. Là où Robinson dans sa Trilogie martienne fait preuve d’une exigence peu commune, qu’elle soit scientifique, technique, technologique, sociologique ou politique, Martin Lessard manque d’envergure et de profondeur.
On comprend pourquoi Terre sans mal est édité chez Denoël et non dans la collection « Lunes d’Encre ». Mais même là, la comparaison avec Depotte (Les Démons de Paris) et Marguerite (Le Vaisseau ardent) est sans appel.
Conseiller ou non ce livre revient à poser la question de l’orientation du genre S-F, une question qui dépasse très largement le champ de la présente critique. Aussi, pour faire court, si vous avez envie de lire un livre grand public (très), plutôt agréable, bien écrit et peu impliquant, voire reposant (week-end, plage…) alors mangez-en, c’est tout bon (sans forfanterie). Si vous souhaitez quelque chose d’un peu plus consistant, alors il ne fait aucun doute que vous trouverez votre bonheur ailleurs dans les pages critiques du présent Bifrost.
A noter tout de même l’illustration de Philippe Gady. Nous, on la trouve plutôt réussie. On aura lu sur la toile qu’elle était comparée à une « Omelette Norvégienne Périmée ». Pour rappel, en ce qui nous concerne, l’ONP, elle est plutôt à chercher dans le livre !