19 mai 1845. Sir John Franklin quitte les côtes anglaises avec un équipage de 134 marins, répartis à bord des deux bombardes HMS Erebus et HMS Terror. La mission confiée à ces hommes est la première traversée du passage du Nord-Ouest dans l’arctique canadien. Ce n’est que trois ans plus tard qu’une mission de recherche, lancée en l’absence de nouvelles, découvrira trois tombes et une note déposée par le capitaine de vaisseau Francis Crozier dans un cairn. Aucun des hommes engagés dans l’aventure n’a survécu Les épaves des deux bateaux ne seront découvertes qu’au début du xxie siècle. L’expédition Franklin reste l’un des plus grands drames de l’exploration arctique, mais aussi l’un de ses plus grands mystères car, si un faisceau d’indices permet d’échafauder des hypothèses, nul ne sait à ce jour ce qu’il s’est passé durant les deux terribles hivers qui ont vu l’Erebus et le Terror prisonniers des glaces avant d’être abandonnés par leurs équipages. Il fallait écrire une histoire de ces hommes : mission accomplie par Dan Simmons dans Terreur, roman qui s’avère, à plus d’un titre, un livre exceptionnel.
Exceptionnel, Terreur l’est par sa dimension historique. Le récit est documenté et précis. L’auteur ne fait l’économie d’aucun détail, depuis la fabrication des boites de conserve défaillantes qui mèneront l’équipage à la famine, jusqu’à la politique de l’Amirauté britannique. Surtout, c’est la reconstitution de ce huis-clos glaciaire qui marque à la lecture. Le langage est d’une grande richesse, et les termes issus du vocabulaire maritime du xixe siècle abondent ; exceptionnel, Terreur l’est bel et bien par la traduction de Jean-Daniel Brèque.
Exceptionnel, Terreur l’est aussi par sa dimension humaine. Tout autant que la peinture de l’enfer blanc, le portrait des hommes y est saisissant de réalisme et de profondeur. Dan Simmons a apporté un grand soin au traitement des premiers et seconds rôles, à leur évolution psychologique au long des deux années qui les voient aller de la superstition à la folie, dévorés par la faim, par le scorbut, par le froid – c’est à la disparition lente de leur humanité qu’on assiste. Le temps est la dimension structurante du roman. La mort vient rapidement pour les chanceux, longue est l’agonie pour les autres.
Exceptionnel, Terreur l’est enfin par sa dimension fantastique. L’auteur avait raconté dans Hypérion le voyage de sept pèlerins partis affronter les marées du temps à la rencontre du Gritche, une créature mythique, immortelle, gardienne des Tombeaux du Temps. Dans Terreur, il raconte le voyage d’explorateurs partis affronter les marées arctiques à la rencontre du Tuunbaq, une créature mythique, immortelle, gardienne de tombeaux de glace. Le monstre, qui incarne à la fois le mal qui ronge l’humain et les éléments extérieurs qui l’assaillent, fait glisser le roman dans l’horreur, suivant la tradition des grands récits classiques comme La Chose de John W. Campbell ou Alien de Ridley Scott.
En somme, Terreur est un roman exceptionnel.