José Carlos SOMOZA
ACTES SUD
256pp - 21,50 €
Critique parue en juillet 2015 dans Bifrost n° 79
Jeune fille au sortir de l’enfance, Soledad part en excursion avec son école dans un ermitage. Isolée parmi ses camarades, avec la tenace impression d’être invisible, elle se perd dans l’ancien bâtiment et aboutit dans une pièce obscure où siègent quatre personnes silencieuses aux regards envoûtants ou hostiles. Assises autour d’une table, elles entraînent la jeune intruse dans un ballet verbal où se mêlent angoisse et érotisme, hermétisme et clins d’œil malicieux. Chacun à son tour, les deux hommes puis les deux femmes vont prendre la parole et raconter chacun deux histoires. Au terme de cette « cérémonie », Soledad se trouvera confrontée à un choix capital.
Récit initiatique (la jeune fille deviendra femme), Tétraméron se présente comme un livre à clefs, multiples, pas toujours claires, ouvrant des boites ouvragées. Dès les premières pages, le narrateur s’adresse au lecteur, le prend à témoin, le met en position d’acteur. Tout est en place pour un spectacle captivant. José Carlos Somoza se propose alors de nous confronter à nos peurs, nos pensées dérangeantes, nos vices refoulés. Il commence par l’atome, ennemi de l’humanité, et poursuit par le sexe. Très présent dans cet ouvrage, il apparaît souvent de façon provocante — à travers le personnage principal, notamment, une jeune fille de douze ans, habillée en écolière, qui se dénude au fur et à mesure de l’histoire. Mais on y trouve aussi des sacrifices humains, sanglants, douloureux. Et aussi le Mal, dans toute sa cruauté. De quoi satisfaire tout le monde en somme, remuer et déstabiliser.
Lorgnant très explicitement du côté du Décaméron de Boccace ou de l’Heptaméron de Marguerite de Navarre, José Carlos Somoza nous offre hélas un récit décevant. Loin de ses modèles, entraînants et riches, le Tétraméron reste superficiel, voire artificiel. Les tabous exposés dans les contes ont déjà été traités tant de fois, les péchés mis en lumière ont déjà été ressassés par tant d’écrivains, bons ou mauvais, tant de réalisateurs, talentueux ou pompeux ! Pourquoi se lancer dans ce sillon ? D’autant que la forme courte des nouvelles enchâssées dans un récit semble moins bien réussir à l’auteur espagnol que les romans au long cours. Sa plume est toujours pointue, acérée, mais les histoires peinent à décoller. Pas de rythme, un symbolisme tellement obscur, parfois, qu’il en perd tout intérêt. La bien mauvaise mayonnaise que voilà…
De grands regrets, donc, surtout au regard du talent de José Carlos Somoza, conteur hors pair, créateur d’univers oniriques et fous où l’on aime se perdre. Pourvu qu’il nous revienne rapidement avec toute sa puissance littéraire, et on oubliera tout aussi vite cette tentative avortée.