Tout commence dans un univers cyberpunk fortement teinté de sadomasochisme — si ce n'est de sadisme pur et simple — , où les nanotechnologies sont utilisées comme défonces. À première vue, on orbiterait à proximité des Racines du mal de Maurice G. Dantec, mais à première vue seulement : l'approche de Yann Minh étant notablement différente. Car s'il est ici également question de crimes sadiques atroces, d'une part ils sont fort complaisamment décrits avec force détails, mais surtout Yann Minh introduit la complicité sadomasochiste entre victimes et bourreaux. De plus, ces victimes consentantes sont, pour celles mises en scènes, toutes des femmes. En effet s'il apparaît d'aventure que des hommes subissent le même sort, c'est juste un élément du décor, un ingrédient d'ambiance. On ne s'y attarde guère. Ainsi Tristan, le héros, pourtant lui aussi présenté comme sadomaso, est abattu par balles ; Leslie, policier travesti, est torturé mais abrégé à la mitraillette dans une brève séquence, etc. En fin de compte, l'esprit est certainement plus proche de John Norman que de Dantec qui, lui, esquivait autant que possible ces morbides descriptions de crimes et de sévices dont Thanatos est farci. Le roman s'apparente à une résurgence de la porno SF des seventies accommodée à l'esthétique ultraviolente qui prévaut aujourd'hui.
Pour la seconde partie, Minh rompt avec la crudité des matraques électriques enfoncées dans des vagins, des snuff-movies en réalité virtuelle nanotechnique, pour s'engager dans ce que l'on appellera une cyber-fantasy. Là, l'excès, qui n'apparaît pas délibéré, finit par tuer le malaise, ou du moins par dissiper quelque peu son intensité maléfique. L'insupportable réalisme est estompé par l'entrée dans l'univers imaginaire. Les outrances où plonge le roman n'ont rien du pastiche cathartique, ce qui n'est pas le cas de l'effet. Conjugué à la Fantasy, introduite par l'idée que matière et énergie sont de nature informelle et mathématique, que le cyberespace ouvre donc l'accès des univers parallèles, l'enjeu du roman se voit soudain déplacé d'une dimension triviale de pouvoir économico-sexuel vers celle de la métaphysique de l'information. Progressivement, le roman glisse du sado-cyber-punk à la science-fantasy. Yann Minh, dans les derniers chapitres, s'offre même un clin d’œil distanciateur en avançant l'idée que Tristan pourrait évoluer dans un jeu de rôles nanotechnologique. L'irruption de Myrddin (Merlin), comme un cheveu sur la soupe, affaiblit un brin l'originalité du roman. Roman qui, lorsque l'on parvient à taire abstraction de sa très forte connotation SM, rappelle, par ses conflits-gigognes, ses personnages aux identités enchâssées, ses entités cosmiques animées d'une soif de puissance incommensurable qui n'est pondérée par aucun sentiment, l'esthétique cosmique propre à Louis Thirion (auteur de 21 romans au Fleuve Noir « Anticipation » entre 1968 et 1990). Que Yann Minh fasse appel à la magie n'y change pas grand-chose. Petit à petit, la suspension de l'incrédulité liée à l'imagerie perverse s'évanouit au fur et à mesure que l'action s'éloigne de la Terre vers les mondes de Cité et Récifs. Pour l'esprit du roman, il faudra plutôt s'orienter vers des auteurs tels que Daniel Walther ou Antoine Volodine ; avec ceci que certaines scènes sont pornographiques.
Roman dérangeant, pouvant facilement être considéré comme un tas de merde si l'on y voit une apologie du sadisme, ou si l'on pense que la S-F n'est ici qu'un prétexte à l'expression de la perversité, Thanatos est un ouvrage fantasmatique très cru et violent, qui devrait néanmoins convenir à ceux qui ont apprécié le best-seller maison de Virginie Despentes, Baise-moi. D'autre part, même si le thème principal n'innove pas, le traitement de ce roman, aux limites de la S-F et de la Fantasy, a le mérite d'être assez peu commun. Thanatos : les récifs appelle une suite. Wait and see.