Avec ce gros roman publié en trois volumes, Poul Anderson nous offre sans doute le pendant thématique de La Saga de Hrolf Kraki. Dans un cas comme dans l’autre, on a affaire à un souverain scandinave dont l’existence est historiquement attestée et ayant déjà fait l’objet d’une saga biographique, dont notre auteur propose une réécriture contemporaine. Mais les ressemblances s’arrêtent là, car nous quittons le territoire de la fantasy pour entrer dans celui du roman historique. Dans son avant-propos, Anderson explique que, s’il a consulté plusieurs sources, il a omis dans son récit les épisodes clairement fantastiques, tel celui où son héros affronte un dragon. Quant au héros en question, il s’agit de Harald III, roi de Norvège, dit « Hårdråde », ce que l’on peut traduire par « de sévère conseil » (vers 1015-1066). Son histoire a été contée par Snorri Sturluson (1179-1241) dans la Heimskringla, une monumentale histoire des rois de Norvège. Cadet des trois demi-frères d’Olaf II, il n’avait que quinze ans lorsqu’il se retrouva contraint de fuir la Norvège après la mort du roi. A la tête de quelques partisans, il gagna la Rus’ de Kiev, où il se mit au service du roi Iaroslav, puis, quelques années plus tard, Byzance, où il connut une ascension fulgurante au sein des mercenaires varègues. De retour en Norvège en 1045, possesseur d’un imposant trésor de guerre, il régna aux côtés de son neveu Magnus, puis seul à partir de 1047, entamant un travail d’unification du royaume. Estimant qu’un ancien traité lui donnait des droits sur le trône d’Angleterre, il envahit ce pays et, après une première victoire, fut battu par le roi Harold II le 25 septembre 1066, à Stamford Bridge, une bataille où il perdit la vie. Harold n’eut pas le temps de savourer son triomphe, car quelques semaines plus tard, le 14 octobre, il était tué à Hastings en tentant de repousser Guillaume le Conquérant.
Anderson narre par le menu l’existence de Harald, l’entourant de personnages bien campés et de décors variés et excellemment documentés. Dans la vision qu’il donne d’une Byzance décadente, on ne peut s’empêcher de penser à l’Empire terrien de Dominic Flandry, dont c’est l’une des sources d’inspiration. On pense aussi à Robert E. Howard, bien évidemment, Harald étant présenté en quatrième de couverture comme « the real life Conan ». Mais Howard ne se souciait guère de ce thème andersonien par excellence, la fin d’un monde et le début d’un autre, auquel notre auteur revient de façon quasi obsessionnelle. Car la défaite de Stamford Bridge a sonné le glas de l’ère des rois vikings, dont les terres étaient par ailleurs gagnées par le christianisme. On retrouve ce leitmotiv dans « Le Roi d’Ys ». A noter que si ce roman de Poul Anderson est malheureusement tombé dans l’oubli, celui de Michael Ennis, Byzantium (1989), qui raconte essentiellement la même histoire, fut à sa parution un véritable best-seller.