Kim Stanley ROBINSON
ORBIT
Critique parue en avril 2022 dans Bifrost n° 106
Alors que KSR était déjà considéré comme le roi de la climate fiction, il manquait à sa couronne un joyau, l’équivalent de ce qu’est la « Trilogie martienne » au planet opera. Puis vint The Ministry for the Future : l’œuvre ultime, indépassable. Parfaite ? Pas si sûr…
Le roman s’ouvre au début des années 2020, alors qu’une vague de chaleur hors-normes cause vingt millions de morts en Inde – autant que la Première Guerre mondiale en à peine une semaine. Frank, un humanitaire US, n’y survit que de justesse, et en ressort traumatisé et radicalisé, décidé à refuser l’inaction des instances internationales. Et justement, alors que l’Accord de Paris a brassé beaucoup d’air mais produit peu d’action, il est décidé d’en créer une branche « exécutive », surnommée le Ministère pour le Futur, dirigé par Mary, qui doit tout mettre en œuvre pour inverser le changement climatique et une extinction de masse comme on n’en a plus vu depuis le Permien. Sur le plan légal et diplomatique, mais pas seulement. Car il existe un ministère à l’intérieur du ministère, qui n’hésite pas à recourir aux attentats sous faux pavillon, aux assassinats ciblés et à l’écoterrorisme s’il le faut.
Alors que la majorité de la cli-fi est post-apocalyptique, KSR part du futur très proche et montre les efforts faits pour stabiliser puis inverser le changement climatique. Son approche est réaliste sur le plan scientifique, plus contestable sur le plan sociétal : si Robinson se prénomme Kim et pas Greta, et qu’il comprend donc bien que l’industrie ou les banques centrales ne peuvent être écartées d’un revers de la main, même avec le recours massif à l’écoterrorisme et une juteuse carotte (une monnaie carbone garantie cent ans, dans laquelle il est pertinent d’investir), il faut avouer que sa lecture des trente années à venir frôle parfois l’utopie, tant certains changements s’opèrent avec une rapidité et une absence de résistance (notamment dans une société aussi rigide que celle de l’Inde) qui nécessitent une certaine suspension d’incrédulité.
Et le fond n’est pas le seul à poser un problème potentiel : si le récit est en partie un roman classique suivant Mary et Frank, il est aussi éclaté en une multitude de points de vue ponctuels (anonymes, à la première personne, et pour la plupart non-récurrents) donnant une vision internationale et à hauteur d’homme des problèmes et de leurs solutions. Aussi, certains points de vue, d’un photon ou d’un atome de carbone, sont vraiment très… particuliers. Si on ajoute à cela une variété, disons sauvage, de styles (du poème au compte-rendu de réunion en style télégraphique), un déballage d’infos massif sur l’Histoire et la théorie de l’économie, un rythme très fluctuant, et une alternance de passages très arides avec ce qui est sans doute à ce jour le roman de l’auteur générant le plus d’empathie pour ses personnages, force est de conclure que, si l’érudition de l’ensemble est, comme toujours chez KSR, admirable, oui, clairement, The Ministry for the Future est le roman cli-fi ultime, oui, c’est un chef-d’œuvre, mais il ne s’agit certainement pas d’un livre apte à plaire à tous les publics.