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Les critiques de Bifrost

The Star Fox

Poul ANDERSON
PANTHER

Critique parue en juillet 2014 dans Bifrost n° 75

The Star Fox est un fix-up composé de trois nouvelles publiées de février à juin 1965 dans The Magazine of Fantasy and Science Fiction, traduites peu après par Pierre Billon dans Fiction n°144, 146 et 148, et jamais reprises dans notre pays.

La Nouvelle-Europe, une planète assez éloignée de la Terre, est l’enjeu d’une guerre avec les Alérioniens, un peuple extraterrestre qui y a tué de nombreux colons humains. Certains ont néanmoins survécu et ont pris le maquis. Pour éviter que la guerre ne dégénère en un conflit de grande ampleur, la Fédération mondiale négocie avec les Alérioniens. La présence de survivants sur Nouvelle-Europe est ainsi passée sous silence pour le bien des négociations. En cas d’armistice, il y a fort à parier qu’Alérion devienne maître de la planète et que les maquisards soient ensuite exterminés en toute discrétion. Gunnar Heim, ancien Marine à la tête d’une puissante entreprise, n’accepte pas cela. Il tente de sensibiliser les gouvernements pour que la Terre riposte ; comme sa quête tourne court, et comme on n’est jamais si bien servi que par soi-même, il obtient, tel un corsaire, une lettre de marque et représailles qui lui permet d’aller affronter les Alérioniens. Jadis commandant de l’astronef Star Fox, il grée un nouveau bâtiment, le Fox II, et part pour la Nouvelle-Europe afin de faire fléchir l’ennemi.

La transposition est évidente : The Star Fox est une directe allusion à la guerre du Vietnam, revisitée ici sous forme de fiction. L’ennemi extraterrestre, ce sont bien sûr l’armée populaire vietnamienne, et, derrière elle, l’URSS et la Chine ; quant à la Fédération mondiale, il s’agit évidemment de l’ONU, jugée pusillanime. Enfin, Gunnar Heim, c’est Poul Anderson lui-même, qui se sert de son protagoniste comme porte-parole. L’auteur, dont on connaît les opinions plutôt belliqueuses, pense que des accords de paix sont infamants : si l’on s’incline face à l’adversaire, celui-ci va continuer à avancer, sûr de son fait et peu inquiet d’éventuelles représailles. D’où l’idée de lui faire comprendre qu’il ne doit pas s’aventurer plus loin. Loin d’être un va-t-en-guerre qui prônerait l’affrontement pour le « plaisir », Anderson conçoit la guerre comme un moyen de dissuasion : montrer sa force à l’ennemi permet de conserver un statu quo mieux que ne le ferait le consensus mou souhaité par les partisans de la paix. Trois ans après la publication de The Star Fox, Poul Anderson devait signer le fameux appel pour la poursuite de l’intervention américaine au Vietnam.

Chacune des trois nouvelles originelles correspond à une étape de la croisade de Heim : « Corsaire de l’espace », qui jette les bases de son action d’éclat, est ainsi la partie la plus politique, où Heim et son allié français multiplient les rendez-vous pour faire bouger les choses. Changement de registre avec « Arsenal », qui se déroule sur le monde où Heim doit récupérer des armes. A la suite d’un détournement, sa navette s’écrase, et s’engage alors une lutte pour la survie au sein d’un monde inhospitalier, dont l’auteur nous garantit la crédibilité par de nombreux passages explicatifs et scientifiques. Enfin, « Amirauté » s’avère un pot-pourri de techniques guerrières, infiltration en milieu hostile, exfiltration de prisonniers et enfin affrontement frontal entre partis antagonistes.

Si tout le monde ne partagera pas les opinions politiques de Poul Anderson, ni d’ailleurs une vision de la femme assez rétrograde, The Star Fox n’en est pas moins intéressant, car, si l’auteur tient avant tout à énoncer clairement sa conception des choses, il n’oublie pas de faire œuvre de fiction — avec la dose requise d’émerveillement et de dépaysement — et va bien au-delà du simple tract politique. On terminera en signalant que ces textes ont été conçus en réponse à une remarque de Francis Carsac, ami de Poul Anderson, qui se plaignait que dans la SF américaine, seuls les Américains semblaient être capables de coloniser des planètes. La France joue ainsi un rôle prépondérant dans The Star Fox, où l’on trouve aussi, entre autres éléments du paysage, un fleuve Carsac et une vallée Bordes, du vrai nom de l’auteur français, auquel est par ailleurs dédié ce livre.

Bruno PARA

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