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Les critiques de Bifrost

Théâtre des dieux

Théâtre des dieux

Matt SUDDAIN
AU DIABLE VAUVERT
672pp - 27,00 €

Bifrost n° 87

Critique parue en juillet 2017 dans Bifrost n° 87

M. Francisco Fabrigas, scientifique, explorateur, a été la première personne à contourner la réalité, à quitter son propre univers et à y revenir vivant. Le problème est qu’il ne fut pas cru, car il déboucha dans un univers si semblable à celui qu’il venait de quitter que tout le monde pensa qu’il n’était pas réellement parti mais s’efforçait de le faire croire. Déclaré traître, condamné à mort, sa seule occasion d’échapper à son sort était de réellement réussir, cette fois, à voyager entre les univers parallèles.

En fait, le livre ne commence pas ainsi, mais plutôt par divers encadrés et textes d’introduction, et notamment la couverture du livre de Volcannon ayant recueilli les mémoires de M. Francisco Fabrigas (la page intérieure rappelle qu’il est interdit « de revendre, louer ou défigurer ce livre au cours d’une manifestation religieuse ou politique »), d’une note du biographe, des extraits de texte accompagnant les illustrations (manquantes), ce qui constitue une bonne mise en bouche, ainsi que d’une dédicace au sweety, la créature monstrueuse qu’on croisera dans les cieux. On trouvera par la suite des encarts publicitaires très XIXe.

Le procès devant la Reine Gargoylas X de Fabrigas, accusé d’hérésie pour avoir pronostiqué l’existence d’univers multiples, rappelle le procès de Galilée, et peut-être aussi Christophe Colomb, son galion spatial se nommant le Vangelis, dont tout le monde sait qu’il a signé la musique de 1492, le film. Pour sa seconde expédition, il traque un pilote d’exception, le Nécronaute – que le commandant Descharge rêve de pendre pour quelques précédents méfaits. Bien d’autres personnages composent l’équipage, comme le bosco Jacob Quickhatch ou le médecin Shatterhands. On signale que se trouve à bord un espion de la Reine. Il faut ajouter le serviteur et ami invisible de Fabrigas, Carrofax, et Miss Maria Fritzacopple, une botaniste rescapée d’un vaisseau attaqué par les pirates. Il y a en outre des passagers clandestins : Lenore, une petite fille verte aveugle dotée d’un odorat phénoménal, et Roberto, un garçon sourd-muet que nombre de factions convoitent, car il serait un routeur, un ordinateur humain dont le cerveau redistribue de grandes quantités d’informations, bref un fichier sensible qui détiendrait la clé de l’univers. Fabrigas promet d’amener tout ce petit monde au commencement des temps. Mais déjà, des assassins, comme Von Furstenberg, Klaus Bugle ou Penny Dreadful (respectivement une créatrice de mode, un peintre futuriste et une revue d’horreur, voire une série TV, au choix) sont sur la piste des enfants, engagés par l’Homme bien habillé, lequel intrigue avec un moine issu d’un autre univers, représentant le sombre Calligulus, créateur d’empires et destructeur de mondes. Il ira jusqu’à manipuler le pape guerrier pour engager avec sa flotte des Neuf Églises une croisade contre l’équipage réfugié dans la ville de Diemendääs…

On l’aura compris, les rebondissements les plus improbables émaillent ce roman foisonnant, picaresque, débridé, qui enchaîne les situations sans faiblir – enchaîner étant un grand mot tant les apartés, digressions et éparpillements font de ce récit un patchwork psychédélique, l’auteur intervenant parfois pour regretter cet état de fait imputable, selon lui, à la narration décousue que lui a faite le principal protagoniste. Quand l’intrigue devient par trop gracabre (gris et macabre, donc), il est permis de se reporter à la page de calme 669 (avec des chatons), pour se rassurer. L’intrigue, passablement incohérente, se structure progressivement? ; on y relève des allusions à la cosmologie et à la mécanique quantique, un gage de sérieux amenant un final métaphysique.

Le tout est truffé de références et d’allusions qu’il appartient au lecteur de déceler, les notes ayant été reléguées dans un autre univers, hommages à la science-fiction et aux maîtres du non sense, aux comics, aux récits d’aventures, et à tout ce qui peut passer par la tête de l’auteur, de James Bond à la contre-culture rock et même Rabelais. On pense à Douglas Adams, Terry Pratchett ou encore aux Monthy Python – Matt Suddain, journaliste néo-zélandais, habite Londres : il y a là, enfin, une cohérence… L’homoncule qui ne goûte guère cet humour passera son chemin. Les autres feront de cet OVNI littéraire une œuvre culte au même titre que H2G2, le guide du voyageur galactique ou Sacré Graal.

Claude ECKEN

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