Martin SCOTT
FLEUVE NOIR
254pp - 6,00 €
Critique parue en avril 2002 dans Bifrost n° 26
Ancien fonctionnaire de la sécurité au palais royal, Thraxas est devenu détective privé depuis qu'il en a été jeté à la porte, et traîne désormais ses dettes et son embonpoint dans les quartiers les plus pouilleux de la ville.
Le boulot ne manque pas : il est le moins cher du genre ! Et dans une ville infestée d'assassins, de voleurs et de dealers de cocaïne (pardon : de dwa), un privé (même sans talent pour la magie) déniche toujours des contrats...
Une noble héritière vient trouver Thraxas, lui demandant de récupérer au domicile d'un ambassadeur étranger les lettres d'amour qu'elle lui a imprudemment écrite. Vu les relations entre le royaume dont dépend la cité de Turai, et l'empire Niojan, puritain et agressif, mieux vaut que ces lettres ne traînent pas. Thraxas accepte l'affaire — d'autant plus volontiers qu'il a de grosses dettes de jeu.
Mais lorsqu'il s'empare du coffre censé contenir les lettres... il n'y découvre qu'un seul parchemin, portant une incantation pour endormir les dragons. Quel rapport avec la princesse ? Pas trop de temps pour les questions : Thraxas butte dans le corps inerte du propriétaire des lieux et se retrouve illico arrêté par la police locale pour meurtre.
Vite relâché, il est ensuite en proie à une tueuse d'une guilde d'assassins, qui lui réclame une étoffe magique très puissante. Rapidement, les clients se bousculent chez Thraxas : les tisseurs elfiques sont également désireux de remettre la main sur leur étoffe...
Inutile de chercher loin les modèles de Martin Scott : il veut faire du Chandler ou Hammett de fantasy, point barre. Tous les clichés du polar « hard boiled » sont donc réunis, y compris les plaisanteries cyniques de rigueur. J'ai bien écrit « clichés », car hélas l'auteur ne semble guère capable d'aller au-delà. Son décor de fantasy s'avère purement cosmétique — on demeure au niveau du bon gros cliché, là encore. Disons que Scott essaye de se situer quelque part entre Howard et Leiber, mais qu'il n'a retenu de ces auteurs qu'une sorte de toile de fond convenue, délavée, terriblement plate. Pas la moindre originalité, rien de neuf — l'auteur ne fait que le minimum d'efforts pour mettre en scène un certain degré de sophistication technique et sociale, juste le nécessaire pour permettre une enquête classique. En fait de Chandler & Hammett, on croirait plutôt se trouver plongé dans un quelconque Mike Hammer... Martin Scott peut toujours rebaptiser la coke en « dwa », les flics en « gardes » et la Mafia en « Guilde » on ne sait trop quoi, seuls seront dupes les plus incultes de ses lecteurs.
D'accord, le roman est correctement structuré, mais son intrigue est tellement banale que le tout n'est franchement pas fascinant. Quant à l'écriture, elle est carrément minable : à force de manque de moyens intellectuels, l'auteur confond économie stylistique avec médiocrité passe-partout. Pas la moindre surprise à attendre dans un tel roman ; qui a toute les chances de vous tomber des mains peu avant la fin tant on se contrefout de savoir comment tout ce triste imbroglio va se résoudre. Si vraiment il fallait publier ce style de mélange polar classique/fantasy, d'autres auteurs américains s'imposaient nettement ! Scott peut remercier son agent français qui a su convaincre un éditeur visiblement en manque d'imagination et sans doute titillé par les « sirènes » d'un prix World Fantasy étrangement obtenu par Thraxas il y a quelques années. Pour notre part nous demeurons, comme David Pringle (le rédac'chef de la revue anglaise Interzone), franchement interloqués quant à ce prix... Quoiqu'il en soit, épargnez donc vos sous et votre temps : il n'y a rien à retenir de ce mince volume, à moins que vous ne soyez un complétiste forcené en matière de littérature de gare...