Judith MOFFETT
LE PASSAGER CLANDESTIN
144pp - 14,00 €
Critique parue en avril 2023 dans Bifrost n° 110
La collection « Dyschroniques » continue de nous proposer de courts textes de science-fiction d’un autre siècle, mais toujours d’actualité (ainsi que, désormais, quelques inédits), et cette parution n’y manque pas. Parution qu’il nous aura fallu attendre plus de trente ans pour la découvrir en français, alors que cette novella a été, à sa sortie en 1989, finaliste de plusieurs prix, dont le Hugo et le Nebula.
Ce récit d’anticipation démarre alors que la protagoniste, Nancy, étudiante en biologie, découvre sa séropositivité, contaminée par son professeur et mentor. Elle décide alors de s’aménager une vie la plus éloignée possible du stress, et la plus saine, afin de retarder le déclenchement de sa maladie. Ce faisant, elle renonce à une brillante carrière autant qu’à toute vie sociale, et une partie du récit se concentre sur les mesures prophylactiques que Nancy s’impose, tout en gardant le silence sur sa séropositivité en public : mise en place d’un mode de vie sain qui l’amènera à produire ses propres légumes et s’installer, isolée, dans une maison avec la possibilité d’un potager en permaculture et maintien d’un lien social via un groupe de parole pour séropositifs.
Nous suivons sa résignation alors que le monde, autour, semble oublier peu à peu l’épidémie autant que ses victimes, et c’est l’arrivée d’un vaccin global contre le VIH en 2020 (sic) qui va déclencher une nouvelle phase du récit où se rejoindront préoccupations sociales (isolement, sexualité, amitié) et environnementales (sélection naturelle en permaculture et accident nucléaire), et où l’on croisera aussi bien le moine Gregor Mendel que des aliens.
La qualité de cette novella réside dans son humanité, dans la capacité qu’a eu Judith Moffett à écouter les personnes qui, en 1989, vivaient déjà avec ce virus, et la retranscription de tout ce matériau dans un personnage d’une grande force : résigné puis déterminé, isolé sans être ermite, en questionnement face au monde qui l’entoure et qui semble évoluer sans lui… et si la partie « aliens » est presque surprenante (et pourrait paraître accessoire), elle permet un regard supplémentaire sur les événements du roman et une résolution étonnante.
À noter que Tiny Tango a depuis été intégré par l’autrice dans son roman The Ragged World (1991), qui développe l’histoire de ces aliens bien particuliers. Agrémenté d’une postface relative à cette première édition en français, Tiny Tango est un texte qui se lit toujours très bien, plus de trente ans après sa parution initiale, et qui éveille la curiosité envers son autrice. En somme, une bonne pioche pour cette collection qui continue de réserver de belles surprises !