William GIBSON
AU DIABLE VAUVERT
392pp - 20,00 €
Critique parue en octobre 2001 dans Bifrost n° 24
Gibson réunit dans un même roman le San Francisco de Lumière virtuelle (on y retrouve le pont habité par tout ce que la société compte de marginaux) et le Japon d'Idoru, suggéré plus que peint dans une intrigue où réapparaissent les personnages de Chevette, la jeune fille naguère coursière à vélo, Rydell, l'ex-flic malchanceux, Laney, le spécialiste de la réalité virtuelle, sans oublier Rei Toei, la créature virtuelle qui faillit épouser un chanteur bien réel.
Laney, malade, terré dans de miséreux cartons d'une station de métro de Tokyo, embauche Rydell pour récupérer Rei Toei et contrer Harwood, qui est capable, comme lui, de repérer les points nodaux de l'Histoire. Tous deux voient dans les micro-événements de la trame du réel d'importants changements à venir. Le nouveau produit que Lucky Dragon s'apprête à lancer sur le marché, un nanofax qui permet de copier n'importe quel objet à distance 1, en fait-il partie ? La quête de Laney vers un ailleurs virtuel est-il un autre signe ?
Gibson ne délivre aucune réponse claire. Il se contente de présenter les nombreux éléments d'un puzzle qui ne deviendront pertinents que lorsqu'ils seront tous imbriqués dans un futur pressenti mais non révélé, dans un prochain roman peut-être. Son travail délaisse les effets d'annonce spectaculaires pour mieux représenter la mosaïque d'un univers en pleine mutation. Cette mosaïque, en 73 chapitres brefs, se compose de tranches de vie, fragments épars d'individus plus préoccupés de l'instant présent et de la survie immédiate que d'avenir à construire. Ce ne sont pas les événements sociaux et politiques d'envergure qui modèlent le monde, mais l'irruption et le mélange constants d'objets technologiques, la superposition et la concaténation de l'ancien et du moderne, générant de nouveaux réflexes et comportements. Gibson note les couleurs, odeurs, images qui composent ce futur à la dérive que nul ne maîtrise plus, en anthropologue consciencieux moins préoccupé d'interpréter que de rassembler en toute objectivité ces morceaux de demain.
Notes :
1. Concernant cet appareil imaginé par Gibson, on lira avec profit l'article de Roland Lehoucq consacré aux nanotechnologies publié dans Bifrost 23 (NDRC)