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Les critiques de Bifrost

Tonnerre après les ruines

Tonnerre après les ruines

Floriane SOULAS
ARGYLL
528pp - 25,90 €

Bifrost n° 114

Critique parue en avril 2024 dans Bifrost n° 114

Mais voilà, il reste Tonnerre, dernier bastion de civilisation, sorte de CHU post-apo’ protégé par une petite armée. Naturellement, tout le monde veut s’y pointer, ceux qui crèvent à la pelle dans l’espoir d’être sauvés, et surtout nos deux protagonistes. Lottie, Tonnienne exilée, et Férale. Férale est anormalement rapide, endurante, dotée d’une acuité sensorielle extrême et d’une capacité de régénération ahurissante. Elle est un mélange de Wolverine et de Celle qui a tous les dons, avec une dégaine d’emo, des yeux jaunes et un régime carné particulier. C’est autour de cette figure de monstre qu’évolue le roman, dans une structure duale qui accole le monstre « avéré » et les monstres « humains ».

Cette dualité s’observe également dans les communautés représentées. D’un côté une humanité ravagée par les mutations et la sandre, une peste grise en évolution constante, mais déterminée à se réécrire. Celle-ci cherche son identité dans un récit d’acceptation de sa monstruosité. De l’autre, Tonnerre, dernier bastion d’humanité, « saine », fait de sécurité et de certitudes. C’est naturellement vers Tonnerre que Férale va se tourner pour répondre à ses interrogations quant à sa nature. Il ressort du roman l’intention de mettre les lecteurs dans les bottes de sa protagoniste. Chaque nouvel événement ou environnement est présenté par un ouragan sensoriel. Qu’il s’agisse des perceptions de Férale ou de ses émotions, Floriane Soulas a beaucoup travaillé l’incarnation de son personnage. Tant et si bien qu’il est plus facile de la percevoir du dedans que de l’extérieur. Ses multiples grognements, feulements et ronronnements peuvent davantage amener le lecteur à se figurer une femme-chat qu’autre chose. Si le roman se veut une aventure, la fréquence des castagnes et des rebondissements est soutenue. Toutefois, la luxuriance des détails ralentit parfois cette action : tantôt des crocs s’enfoncent dans la chair avec force précisions, tantôt une meute d’adversaires est mise au tapis en trois coups de cuillère à pot. Une arythmie un poil déstabilisante. N’attendez pas que l’on vous prenne la main pour découvrir qui est quoi ou qui, Tonnerre vous balance dans la cendre avec force coups d’appendice mutant derrière le crâne. Les réponses viennent d’ailleurs et c’est ce qui contrebalance avec efficacité l’apparent manichéisme mutants/ malades vs. les toubibs proprets de Tonnerre. À aucun moment le roman n’invite à une prise de position, c’est au lecteur de se faire son opinion, assis confortablement dans l’œil de ce cyclone de mucus et de tissus cicatriciels. Ce trait sanguinolent rappelle la partie chthonienne de Les Oubliés de l’amas, qui développait un imaginaire saisissant et assez inattendu dans une station spatiale. C’est à se dire aussi : « Enfin, Floriane, à quand un roman de new weird bien crade et oppressant ? »

Pierre-Louis CONSTANTIN

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