Roland C. WAGNER
L'ATALANTE
384pp - 19,90 €
Critique parue en septembre 2000 dans Bifrost n° 19
II ne faut pas craindre de l'écrire haut et fort, Sanctuaire Révéré poursuit ses affabulations quasi diffamatoires dans le dernier tome de ses mémoires, Toons, complaisamment éditées par le Ruisseau Blanc. Évidemment, sa profession de détective privé ne lui laissant pas le temps de se colleter lui-même avec l'écriture, il a recouru pour cette tâche ingrate à un nègre bien connu des maisons parisiennes, un certain Robert V. Beethoven. Inutile de préciser que le résultat de la collaboration entre un membre de la tribu des Acidulés et un Classique ne manque pas de sel ; pour ainsi dire, ça plonge dans le pittoresque… sans jamais refaire surface.
Frappe en premier lieu l'inconsistance du style, mal dissimulée par une ruse vieille comme le Ruisseau Blanc, qui consiste à employer une très petite police de caractère, afin de donner l'illusion d'un texte riche. Hélas, on aura beau chercher la fulgurance proustienne, une imagination malsaine tient lieu de discours à notre privé ainsi qu'à son complice. Probablement né Augustin Duschmoll ou Hyppolite Nomhacouchédehors, Sanctuaire Révéré se prétend fils de millénariste, affligé du don parapsychique de transparence. Si donc il porte la tenue aussi discrète que de bon goût des Baby boomers des années 1960, ce n'est point parce que sa tribu affectionne le psychédélique, mais par souci de se faire remarquer de ses interlocuteurs, tout autre choix vestimentaire le condamnant à une forme d'invisibilité sociale. Affirme-t-il par là que les Acidulés ne sont en fait que des Anonymes incapables de s'assumer ? Il donne un élément de réponse en esquivant le sujet, tout comme nombre d'autres questions dérangeantes.
En revanche, sa capacité digne du baron de Münchausen de broder les récits les plus aberrants lui permet sans problèmes d'étaler sa mégalomanie délirante. Se comparer aux plus grands scientifiques ne lui fait pas peur, pas plus que Couche de Bolgenstein et la Grande Terreur primitive de 2010 ne représentent pour lui de mystères. Ainsi plaque-t-il sur les événements un peu bizarres, mais pour lesquels une explication rationnelle fut trouvée, les pires fantasmagories nées d'un esprit malade. Toons constitue à ce titre un exemple édifiant de cette démarche : récemment, l'inspecteur Trovallec a brillamment résolu l'affaire des hologrammes de personnages de dessins animés du siècle dernier, lesquels avaient semé le désordre dans Paris en un bref rappel de la Terreur, en arrêtant le gang terroriste des Holographistes de la Dernière Heure ; or, non sans ternir la réputation du policier au passage, Sanctuaire Révéré s'attribue le mérite de la disparition des hologrammes en donnant une version des faits très artistique, pour ne pas dire fantastique, festonnée de termes scientifiques incongrus. Naturellement, une personne de l'importance de notre détective ne peut qu'être constamment mêlée aux complots échafaudés à l'échelle mondiale par les Technotrans. Ces dernières, pourvues de services secrets antéterrifiants, l'auraient confronté rien de moins qu'à des créatures venues de mondes parallèles ainsi qu'à des démons issus du passé. La police devrait s'intéresser à sa part de responsabilité dans les cadavres qui s'amoncellent au fil de ses enquêtes, tant son profil suggère le tueur en série, un individu assez froid et insensible pour se vanter à demi-mots de ses crimes. Espérons cependant qu'il ne s'agit là encore qu'invention de sa part. Que les multinationales, dont on pourrait penser que l'objectif, à notre époque si stable et pacifique, consiste surtout à vendre des produits, emploient des « cyber-ninjas », n'est que routine pour Sanctuaire Révéré, accoutumé à tenir d'intéressantes discussions avec des ayas immatérielles ainsi que des phénomènes culturels tels que le Rock n'roll (une danse du XXe siècle qui ressemble beaucoup à la Salsa). Last but not least, précisons que, si Sanctuaire Révéré fait de nombreuses références à un détective de fiction, Nestor Burma, son nègre, quant à lui, n'a pas hésité un seul instant a s'inspirer lourdement de l'œuvre de Léo Malet, en pensant sans doute que ce dernier avait sombré dans l'oubli depuis un siècle, et que l'on y verrait goutte. Ceci, quoique d'une manière maladroite, rattache évidemment ces mémoires, où s'imbriquent si étroitement réel et fiction, au genre du roman gris, même si par bien des aspects, un lecteur de 1970, lui, aurait sans doute constaté une fusion entre la fantasy, le polar et la science-fiction. Toons constitue donc le gag tonitruant qu'attendait la rentrée littéraire pour se détendre avant de passer à des choses plus sérieuses, tant il lui sera difficile de se remettre de la sortie l'an dernier des Particules alimentaires, l'œuvre d'un véritable écrivain cette fois, le prodigieux Edgar Zyviec.