Jean-Pierre ANDREVON
GLYPHE
16,00 €
Critique parue en avril 2009 dans Bifrost n° 54
Jean-Pierre Andrevon est une des plumes les plus prolifiques de l'imaginaire francophone. Arrivé à un âge où il ne lui reste plus grand-chose à prouver, il poursuit pourtant son bonhomme de chemin sans abuser aucunement de la crédulité du lectorat. Tous ces pas vers l'enfer ressortit à une veine plus introspective. En effet, on s'éloigne ici des œuvres joyeusement cyniques, telle Le Travail du furet (Folio « SF »). Jean-Pierre Andrevon délaisse également l'atmosphère poétique de fin de civilisation dépeinte dans son roman Le Monde enfin (Fleuve Noir « RvA »). Il s'écarte du domaine de la fable écologiste qu'il a abordée dans la série Gandahar ou de la charge politique dont il a fait montre dans Sukran (Folio « SF »). Bref, avec Tous ces pas vers l'enfer, l'écrivain français aborde des thématiques de nature plus existentielles — la vie, la mort et l'autre —, et il le fait par le biais d'un fantastique subtil qui évite les effets du grand guignol. Pour tout dire, on se situe davantage en territoire de l'inquiétude — pour paraphraser le titre de l'anthologie périodique en son temps dirigée par Alain Dorémieux — qu'en zone de terreur macabre. Les huit textes qui figurent au sommaire nous immergent dans un quotidien prosaïque et sans éclat qui pourrait bien être le nôtre, à y regarder de plus près. Villes ternes peuplées d'individus anonymes, familles morcelées aux abonnés absents, couples à la dérive rongés par la routine, paysages campagnards mornes et automnaux, centre de vacances aseptisées, quais de gares balayés par le vent… Tous ces univers se succèdent et éveillent en nous des souvenirs familiers. En même temps, ils suscitent l'angoisse et invitent à l'introspection. C'est d'abord ce compartiment de train où on embarque à la naissance pour ne débarquer qu'à la mort. Puis, cette mère à la recherche de sa fille dans un contexte d'évacuation générale. C'est ce père qui fuit une guerre des générations qui ne dit pas son nom, en compagnie de sa petite fille. C'est cet autre père de famille qui abandonne fils et épouse pour rejoindre les clochards, toujours plus nombreux et silencieux, qui squattent les trottoirs de sa ville. C'est ce couple qui se voit offrir des vacances gratuites au bord de la mer. Sans oublier ce cimetière où il fait si bon vivre… Et ce défunt qui assiste à son inhumation avant de découvrir ce qu'il y a après. Enfin, c'est cet homme qui vit en compagnie des morts au point d'en oublier les vivants. Ces huit univers intérieurs mis en scène par Jean-Pierre Andrevon font vaciller la raison en hésitant entre le cauchemar et la sinistre réalité. Ils happent littéralement le lecteur dans leurs méandres vénéneux. Car Jean-Pierre Andrevon est un redoutable tisseur d'ambiance qu'il pimente d'un humour, volontiers grinçant, qui réjouit le cœur du plus fervent misanthrope. Pourtant ici, le recueil fait mentir cette réputation de misanthropie puisqu'il se termine par une nouvelle (parue dans la revue Ténèbres en 2001) qui est une déclaration en faveur de la vie. À mettre en relation avec le texte inédit ouvrant l'ouvrage qui, lui, propose une manière de bilan, traversé par la nostalgie, au crépuscule d'une vie.
Au final, Tous ces pas vers l'enfer s'avère une lecture plus que recommandable. Non, Jean-Pierre Andrevon n'est pas encore mort !