Antoine JAQUIER
AU DIABLE VAUVERT
272pp - 21,00 €
Critique parue en juillet 2023 dans Bifrost n° 111
La veine post-apocalyptique est décidément féconde ces temps-ci dans les littératures de l’Imaginaire (on se demande pourquoi…). Après le diptyque Immobilité/ L’Antre de Brian Evenson (cf. Bifrost n° 110), et en attendant Swan Song de Robert McCammon, Antoine Jaquier nous offre, avec Tous les arbres au-dessous, une déclinaison helvétique du genre. Cet auteur vaudois a d’abord publié des livres auscultant le monde contemporain à l’aune du roman noir, parmi lesquels Ils sont tous morts (2013, même éditeur). Manifestement adepte des mauvais genres, Antoine Jaquier a par la suite abordé l’Imaginaire avec, en 2019, le dystopique et numérique Simili-love (cf. Bifrost n° 95), et enfin, en cette année 23, le post-apo’ Tous les arbres au-dessous.
La catastrophe qui y est présentée s’inscrit dans un futur dangereusement proche. Le romancier imagine que la dissolution de l’État, en France (où se déroule le récit) comme dans les autres pays européens, résulte d’un faisceau d’événements éminemment contemporains. Parmi ceux-ci, on compte aussi bien des troubles socio-politiques (les gilets jaunes n’ayant ici, littéralement, pas désarmé) que géopolitiques, avec la multiplication d’ « attentats des mercenaires de Poutine sur le sol européen ». Soit autant de coups portés à des sociétés par ailleurs épuisées par des « vagues successives de pandémies auxquelles personne ne comprenait rien » et « une crise climatique majeure et définitive ».
Face à la métamorphose de la France en un champ de ruines civilisationnelles, ayant désormais pour seule loi celle du plus féroce, quelques-uns ont cependant pris de survivalistes précautions. Tel est le cas du narrateur de Tous les arbres au-dessous, un quadragénaire parisien prénommé Salvatore. L’ex-salarié d’une société de communication a trouvé refuge dans une ferme tapie au plus profond de la forêt des Vosges, judicieusement achetée avant que le marché de l’immobilier (comme tous les autres… à part celui de la drogue) ne disparaisse à jamais. En « prepper » achevé qu’il est devenu, Salvatore a équipé la bâtisse afin qu’elle lui assure une parfaite autosuffisance. Un temps seul à en jouir, Salvatore va bientôt en faire bénéficier deux manières de locataires, jaillis un jour de la forêt ceignant son refuge. Vient d’abord la jeune Mira, mixte hardcore d’Amazone et de Mowgli. À la guerrière post-adolescente se joint bientôt Alix, gender fluid aussi pacifique que la vache Lassi dont iel (Antoine Jaquier est un adepte de l’orthographe inclusive) est accompagné.e…
La micro-communauté queer ainsi formée autour de Salvatore va peu à peu l’amener à réviser non seulement sa stratégie quant au « shut down » (ainsi désigne-t-il la polycatastrophe), mais plus largement son rapport à la condition humaine. Découvrant avec Mira et Alix la féconde efficacité de l’entraide face à l’adversité, Sal se départ de son individualisme survivaliste. Mieux encore, le misanthrope qu’il se croyait être en arrive au terme de ses aventures avec Mira et Alix à la conclusion que « le Paradis, c’est les autres ». Cette épiphanie empathique constitue le versant le plus attachant d’un roman post-apo in fine fort optimiste. Et ce d’autant plus que la mue de Salvatore est restituée avec une narration à la fois enlevée et ironique. On est en revanche bien moins convaincu par les échappées chamaniques et animistes de Tous les arbres au-dessous. D’une certaine lourdeur narrative, les trips à base de drogue amérindienne de Sal et de ses compagnes ne convainquent guère. Sans doute Antoine Jaquier aurait-il gagné à ne pas ajouter à la touchante prise de conscience altruiste de son héros une révélation panthéiste assez artificielle…