Emmanuel BRAULT
LE PEUPLE DE MÜ
240pp - 20,00 €
Critique parue en juillet 2023 dans Bifrost n° 111
Deuxième parution pour Emmanuel Brault chez Mu, après le très réussi Walter Kurtz était à pied, publié en 2020, et dont nous disions grand bien ici même (Bifrost n° 98). Dans un avenir improbable relevant de l’allégorie sociale, l’auteur proposait un roman d’apprentissage au sein d’un univers minimaliste réduit à des routes et des voitures. Emmanuel Brault retrouve le label des éditions Mnémos avec un nouveau roman, Tous les hommes… Si tout change – nous quittons les joints de culasse pour les fusées à hydrogène – rien ne bouge sous le ciel qui devient rouge.
L’avenir est improbable et relève de l’allégorie sociale. La France, devenue empire interstellaire comptant huit milliards d’habitants, occupe 84 planètes. Le lien social et l’économie dépendent en grande partie du transport d’hydrogène entre systèmes. (Notons qu’à moins de changer d’univers, l’hydrogène est l’élément le plus abondant dans le nôtre, puisqu’il en est constitué à 75 %, et donc largement disponible à pas cher partout où l’on va. Dans un avenir probable, le transporter serait donc inutile. Mais le propos du roman n’est pas là.) Ceux qui en assurent le transport sont des Ulysses, une élite de navigateurs interstellaires qui parcourent l’empire. Le récit d’apprentissage est celui d’Astide, jeune aspirant à bord du vaisseau cargo Ulysse31 mené par son capitaine Vangelis et son mécanicien Alfred. Astide confine dans son carnet de « débord » les événements qui vont se dérouler pendant les quelques années de sa formation. L’histoire est celle de l’amitié profonde qui lie les trois hommes, de l’amour qui lie Vangelis et Alfred, et de la révolution qui se prépare. Car voilà, dans cet empire régi par les valeurs de la France — nous sommes six siècles après la Révolution française, nous dit-on – tous les hommes ne naissent pas libres et égaux en droit. Alfred est un esclave. Il a le statut juridique d’un animal (on notera le travail sur le vocabulaire finement employé par l’auteur) et en reçoit le traitement où qu’il aille. Son désir d’émancipation deviendra geste politique et entrainera les trois hommes sur le chemin de l’Histoire.
Emmanuel Brault transporte ainsi dans le futur et entre les planètes, l’histoire de l’émancipation des esclaves de France entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe. Si le décor est plus vaste, on retrouve dans Tous les hommes… les préoccupations déjà présentes dans Walter Kurtz était à pied. On pourra reprocher au roman de n’utiliser la science-fiction que comme une toile de fond qui n’apporte rien au récit, puisque celui-ci pourrait très bien se dérouler n’importe où et n’importe quand. Il n’en reste pas moins que l’histoire est belle, que le propos est juste, et que les personnages qui l’habitent sont merveilleux. Tous les hommes… est un bon roman. Pas un roman de science-fiction, certes, mais un bon roman qui convoque émotion et humanisme, espoir et lutte au nom de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.