Lire Tous les pièges de la Terre à la suite de La croisade de l'idiot ne donne pas l'impression d'avoir ouvert un nouveau livre, tant ce deuxième recueil provoque un indéniable sentiment de familiarité. Rien d'étonnant, bien entendu, à y retrouver un air de famille — il s'agit, en effet, de textes écrits à la même époque (les années 1950)… par la même personne ! Mais la recette est elle aussi inchangée : un peu de gravité, une touche de mélancolie, quelques pointes d'humour pour alléger le tout, et servez chaud au coin du feu. Comme le cuisinier, ainsi que je l'ai déjà dit, possède de solides capacités de conteur, le résultat est de qualité, et, s'il ne tire pas de cris d'admiration (j'ai préféré les textes de La croisade de l'idiot), s'apprécie sans arrière-pensées.
Tous les pièges de la Terre, la nouvelle, est l'histoire d'un robot qui, d'un coup, au décès du dernier représentant de la famille à laquelle il appartenait et qu'il servait depuis si longtemps, se retrouve menacé par la loi terrestre de perdre tous les souvenirs qu'il a amassés. Souvenirs auxquels il a la faiblesse de tenir, car, comme il le dit, ce sont « ses seuls biens au soleil ». Après avoir cherché en vain secours et assistance auprès de la loi puis de la religion, il fuit la Terre, pour finir, après quelques péripéties, par retrouver un sens à son existence. Ce texte est le moins convaincant du recueil : les pérégrinations du robot sont trop longues, les ficelles un peu trop grosses, et la morale gentillette…
Bonne nuit, Monsieur James : Henderson James reprend conscience. Il est dehors, dans la nuit, armé. Il se rappelle pourquoi : il lui faut abattre, avant qu'il ne soit trop tard, la créature la plus assoiffée de sang de la Galaxie, un monstre intelligent et implacable (qui ressemble fort à ceux du roman Les enfants de nos enfants) désormais en liberté sur Terre, par sa faute. Le face-à-face aura lieu… mais l'histoire, que le lecteur croyait terminée, rebondit alors dans une autre direction, l'enfermant dans un implacable enchaînement de faits jusqu'à une fin très noire. À la sortie, le dit lecteur s'aperçoit, admiratif, que l'auteur s'est joué de lui tout en le divertissant…
La nouvelle qui suit fleure bon l'âge d'or, celui où l'on confrontait des humains à l'inconnu en les débarquant sur une planète étrangère peuplée des créatures les plus improbables. En l'occurrence, celles de Raides mortes sont de la corpulence d'une vache et peuvent fournir miel, légumes, viandes. De plus, l'une d'elles vient fort obligeamment chaque soir tomber raide morte aux pieds de nos vaillants explorateurs. Récit impeccablement mené, solide, l'auteur ne cherche qu'à apporter plaisir et évasion à son lecteur et y réussit parfaitement.
Les nounous : un très très vieux directeur d'école de Millville se demande pourquoi ses élèves se sont peu à peu mis à acquérir de plus en plus jeunes une maturité d'adulte. La cause est vite identifiée : ce sont ces extraterrestres installés parmi eux, nounous si efficaces que tous les citoyens de Millville leur confient leurs enfants. Mais l'intrigue accroche moins que l'atmosphère. Revoilà le ton si particulièrement mélancolique de Simak, ce regard sensible sur l'humanité, le passé, la vieillesse et la jeunesse.
Changement de ton radical avec Larmes à gogo, texte qui ne fait, lui, aucunement dans la mélancolie, puisqu'il vise plutôt le burlesque. Nous sommes toujours à Millville, archétype de la petite ville simakienne. Un « non-Terrien » débarque avec son robot pour collectionner les histoires tristes. Certains (comme le narrateur) se soûlent à l'alcool, d'autres à la tristesse. Qu'importe le flacon… Simak parvient à nous égratigner, nous autres ses congénères humains, mais aussi à nous faire rire, tout ça avec une histoire pittoresque basée sur la tristesse. Pas mal, non ?
Planète à crédit : Un choc culturel, entre humains et extraterrestres. Classique en SF, certes, mais celui-ci est à la sauce Simak ! Voici donc une planète sur laquelle arrivent un humain et ses robots pour mettre en place un échange commercial entre les autochtones et la Terre. Mais « une planète vierge est toujours une planète vierge […] Il y avait toujours ce facteur irréductible d'inconnu contre lequel on ne pouvait rien. » Les sympathiques terriens représentent des intérêts moins sympathiques, et on suit leurs efforts et leurs déboires avec un petit sourire aux lèvres.
Le nerf de la guerre : un homme sans le sou, sur Terre, aspire à retourner chez lui sur Mars et laisser à « d'autres casse-cou le soin de batifoler dans le système solaire » ; le charme de l'espace n'agit plus sur lui. Comme le dernier texte de La croisade de l'idiot, celui-ci est court, puissant et traite des souffrances endurées par l'homme en assumant son destin de conquérant de l'espace, destin considéré comme une malédiction. « Pourquoi diable l'Homme s'était-il jeté dans l'espace ? »