Depuis toujours, on sait les Moutons électriques particulièrement attachés à l’objet-livre. Un attachement qui les a conduits à de nombreuses expérimentations, et qui trouve aujourd’hui une manière d’aboutissement avec cette récente publication. Dans un format similaire à celui de Dévoreur de Stefan Platteau, Tout au milieu du monde renferme une novella à la forme aussi importante que le fond. Pour les besoins de cette ambitieuse entreprise, Melchior Ascaride rejoint Mathieu Rivero et Julien Bétan. L’illustrateur phare des Moutons électriques (Ascaride, donc) ne se contente pas cette fois de concevoir la couverture, mais enrichit les pages intérieures avec ses enluminures et son trait inimitable. Ainsi, l’histoire de Tout au milieu du monde n’est pas un simple récit de mots, mais bien la fusion quasi parfaite de l’image et du verbe.
Mathieu Rivero et Julien Bétan nous entraînent dans un univers préhistorique où le mysticisme règne. Amouko, le vieux chaman de la tribu des Yeravas, est inquiet : la dent sacrée n’assure plus la prospérité des siens. Elle dépérit, et ceux qui en dépendent avec. Il ne reste qu’une seule solution pour sauver les Yeravas : partir dans le cimetière des colosses et trouver l’origine du mal. Dans cette quête, Amouko sera accompagné de son apprenti, Ushang, et de la guerrière Soha. Trois compagnons pour découvrir un monde cruel et dangereux. Un monde incroyable qui prend vie sous la plume de Rivero et Bétan. Dans un style poétique et ciselé, les deux auteurs français accouchent de scènes évocatrices en diable. Le lecteur y croise des colosses mourants, des sangliers aux mille yeux ou des Osseux, d’inquiétantes et immenses créatures. Ce bestiaire, ainsi que toute la mythologie qui l’accompagne, confèrent une atmosphère mystique délicieuse à l’aventure. Dans la lignée d’un Timothée Rey, l’humour en moins, le récit immerge son lecteur dans une épopée protohistorique crédible où les frontières entre réel et imaginaire se confondent. Où le rêve côtoie le cauchemar. Malgré un axe narratif central vu et revu (le voyage initiatique, bien entendu), Tout au milieu du monde trouve une voix singulière qui accroche dès les premières pages. En jouant la carte du non-dit, les auteurs attisent l’imagination et aiguisent l’appétit pour ce monde étrange et inquiétant qu’ils laissent entrevoir par petites touches. Une faille dans laquelle s’engouffre le troisième larron : Melchior Ascaride. Son style épuré colle au mieux à l’univers décri et fait de véritables merveilles pour s’approprier le dessin rupestre de l’époque. Plus que de simples illustrations, ses enluminures font parties de l’aventure d’Amouko et Ushang, allant jusqu’à jouer un rôle au sein de l’épopée. Dans une moindre mesure, ces expérimentations autour du texte renvoient à celles de La Horde du Contrevent d’Alain Damasio. La forme et le fond s’épousent, se rejoignent et se fondent. Le résultat s’avère aussi fascinant que réjouissant. Seul véritable défaut : c’est beaucoup trop court ! Évidemment, le texte a été pensé comme une novella, mais l’univers qui se devine ici mérite bien davantage. La fin, aussi brutale que drôle, se révèle terriblement frustrante. Un point noir qui, en vérité, en dit long sur la qualité de l’ouvrage. Il ne reste donc qu’à vous laisser porter Tout au milieu du monde et à savourer ce (court) voyage mystique.