Après l’excellent Kalpa impérial en 2017, La Volte a l’heureuse idée de publier un second livre de l’Argentine Angélica Gorodischer – autrice réputée dans son pays et ailleurs dans le monde, mais pour ainsi dire inconnue en France avant que l’éditeur ne s’y mette. Il s’agit cette fois de Trafalgar —sorte de fix-up centré sur le fantasque personnage nommé Trafalgar Medrano, voyageur de commerce de son état, et (forcément) conteur de premier ordre par vocation.
À chacune de ses escales à Rosario, Argentine (la ville de l’autrice), fin des années 1970, en même temps qu’il fait la démonstration de sa consommation pathologique de café, il régale son auditoire (souvent Angélica Gorodischer elle-même) avec les récits totalement fous de ses explorations interstellaires. Car il en a vu, du pays, Trafalgar – quantité de planètes au nom à coucher dehors, entre lesquelles il navigue avec sa « guimbarde », au petit bonheur la chance, et où il se débrouille toujours pour vendre sa camelote à des extraterrestres qui n’en ont probablement pas vraiment besoin, séduisant plus qu’à son tour les charmantes jeunes femmes qu’il y rencontre forcément. Il y sème aussi un peu la zone, avouons-le…
Et ces mondes lointains (« sans doute du côté de l’Inde », suppose une tante de l’autrice) sont tout de même sacrément différents de la calme et provinciale Rosario : ici, l’histoire entière est chamboulée de fond en comble à chaque nuit qui passe ; là, la planète s’avère un double historique de la Terre, où notre VRP peut faire l’article à des Rois Catholiques qui n’ont pas encore dépêché Colomb de l’autre côté de l’océan ; là-bas, encore, les habitants semblent plongés dans une apathie constante qui perturbe les scientifiques venus observer le phénomène ; et, plus loin, la planète entière appartient à la famille… disons González. Etc., etc.
Bien sûr, tout ce que raconte Trafalgar Medrano est parfaitement authentique. Personne ne saurait en douter – certainement pas ses interlocuteurs, hommes et femmes de lettres, souvent, qui se délectent, quoi qu’ils prétendent, de ces épisodes rocambolesques où toutes leurs certitudes et anticipations s’effondrent joyeusement au détour d’une page. C’est qu’il y en a des idées, dans les contes de Trafalgar. Des idées qui ne manquent pas d’un certain panache et qui évoquent passablement cette science-fiction très populaire du type de l’âge d’or, ou aube de l’âge d’argent, et sans doute déjà bien surannée en 1979. Mais cela fait partie du charme ! De même que les savants artifices de narration de Trafalgar comme d’Angelica Gorodischer, car nous avons ici une conteuse d’exception qui met en scène un conteur d’exception. L’un et l’autre partagent au fond bien des choses, notamment le goût de la digression savoureuse, ou encore des retournements inattendus – ainsi que des détails en apparence anodins, qui ancrent pourtant le récit dans le réel.
Car tout cela est authentique, hein ! Parfaitement.
L’ensemble s’avère très drôle, toujours malin, parfois étrangement profond, d’une richesse picaresque et d’un style fluide mais surtout réjouissant. On engloutit ces contes comme Trafalgar ses cafés. Et comme lui, bien entendu, on en redemande : un régal !