Paul BORRELLI
L'ATALANTE
480pp - 19,90 €
Critique parue en novembre 1999 dans Bifrost n° 15
Inconditionnels de héros positifs et propres sur eux, passez votre chemin : ce livre n'est pas pour vous. Fans de noir et d'Ellroy, mes frères, courez chez votre libraire le sommer de vous procurer le dernier roman de Paul Borrelli, le troisième volume de la Trilogie Serge Lançon, que vous pourrez dévorer, comme je l'ai fait, sans avoir lu les deux précédents, L'Ombre du chat et Désordres. Vous ne sortirez pas indifférent de cette ultime enquête de Serge Lançon, anti-héros, précog, fidèle en amitié, désabusé, artiste, révolté… et tocard, et ignoble. Car c'est aussi un véritable salaud, Lançon, essentiellement dans ses rapports physiques (« amoureux » ne peut s'appliquer ici) avec les femmes. Et pourtant on n'arrive pas à le haïr tout à fait. C'est d'ailleurs une des forces de ce livre : aucun des personnages n'est vraiment aimable, mais il est impossible de ne pas sentir en eux (« méchants » y compris) cette part d'humanité qui empêche de s'en dissocier totalement… Il n'y aura guère que quelques enfants victimes à être vraiment innocents.
L'action se passe à Marseille. Un Marseille de 2034, qui ne diffère guère du nôtre que par l'exacerbation de ses problèmes de surpopulation, chômage, pollution, SDF, ghettos, violence sociale, etc… Régulièrement, un ou des inconnus bombardent les véhicules du haut des passerelles surplombant l'autoroute de lourds fragments d'une sculpture de bronze. Nombreux accidents, nombreux morts. Pour renforcer ses équipes qui piétinent, la police fait appel à Serge Lançon, dont les rêves prémonitoires lui ont déjà été précieux dans le passé. On suit donc deux enquêtes, menées indépendamment et en parallèle. L'une, cartésienne, de l'inspectrice Canavese, dans les milieux de l'art moderne (que Borrelli semble bien connaître1 et dont il brosse un tableau au vitriol), qui la mènera à la vérité, après avoir démasqué quelques monstres à beau visage. Et, surtout, celle de Lançon. Avec ses méthodes à lui. C'est à dire : sans méthode. Il erre, il attend l'intuition, progressant, cahin-caha, de rencontres en rencontres jusqu'à la découverte de l'assassin. Dont l'identité, d'ailleurs, ne surprendra pas vraiment. Ce n'est pas un problème. L'important, on le sait, n'est pas là. Car l'essentiel, c'est cette écriture crue mais sans complaisance, qui vous prend à la gorge, qui vous plonge le nez dans la noirceur de l'âme humaine ; et ces personnages, oui j'y reviens, qui vivent, souffrent et font souffrir, qui sont souvent risibles dans leurs petites faiblesses, humains et pourtant si inhumains (le plus « humain » étant, comme parfois chez Dick, une machine, plus précisément : un androïde).
Reste que Borrelli signe un roman de qualité, d'un genre rare, que l'on pourrait étiqueter « noir SF », même si la composante science-fictive est minoritaire, servant plus de décor que de moteur.
Noir, très noir…
Notes :
1. Et pour cause, il est peintre et illustrateur (NDRC de Bifrost).