Simon R. GREEN
L'ATALANTE
604pp - 24,00 €
Critique parue en janvier 2003 dans Bifrost n° 29
Rares sont les ouvrages dont le contenu figure presque intégralement sur la couverture. Tel est l’exploit pourtant réalisé par Traquemort le proscrit, livre rempli d’action, de duels et… rien d’autre. Arrivé au terme de l’ouvrage de Simon R. Green, le sentiment dominant est que l’on vient de lire un dessin animé, avec la frustration qu’on imagine.
Owen Traquemort, seigneur de Virimonde, une planète intégrée dans un empire gigantesque, se voit décrété hors-la-loi par l’impératrice, condamné à mort et contraint à la fuite. Sauvé in extremis par une trafiquante d’organes, il se réfugie sur l’un des seuls mondes inaccessibles à l’empire, Brumonde, sordide et malfamé, point de chute des bannis en tout genre. Depuis ce purgatoire, il prend la décision de mener une rébellion d’envergure contre un empire tyrannique, despote et cruel. Son unique espoir de succès réside dans le négateur de Noirvide, arme absolue capable d’éteindre en une seconde des milliers d’étoiles et des millions de vies. Celle-ci se trouve sur Shandrakor, planète aux coordonnées inconnues de l’empire, où son ancêtre, le Traquemort originel, l’y a cachée après l’avoir utilisée neuf cent ans auparavant. Accompagné de cinq compagnons, il y mettra en déroute l’armée impériale lancée à ses trousses, récupérera le négateur et lèvera une armée de hadéniens, hommes génétiquement modifiés pour le combat et reposant en stase depuis des années sur Shandrakor. La rébellion peut commencer, et là se termine « la première époque de la geste de Traquemort ».
Immense fourre-tout — on y trouvera, pêle-mêle, nobles, vampires futuristes, loup-garou, elfes, téléportation, cyberespace, génétique, Gestalt, clones et télépathes —, si Traquemort le proscrit prétend au titre de space opera, il n’émarge en fait qu’au rang de série B de bas étage. Le roman ne disposant ni de propos, ni d’intrigue, ni donc de suspense, Simon R. Green ne cesse d’introduire de nouveaux personnages, de nouveaux complots pour rejouer à l’infini la même scène. Celle du combat que l’on imagine aisément sur un écran mais qui, à force d’être ici écrit et réécrit, lasse de façon radicale. Confrontés à un mur, jamais les héros ne le contournent, ni même reculent : ils le démolissent frontalement, brutalement, avec un succès récurrent. Non content de se répéter, l’auteur règle chacune des situations critiques par des pirouettes révélatrices de son manque d’imagination. Les héros sont acculés dans un château ? Celui-ci était en fait un vaisseau spatial ! Traquemort ne connaît pas le code secret nécessaire à réveiller une armée en stase ? La seule personne le connaissant, qui vient de se faire décapiter (!), réussit néanmoins à le lui transmettre ! L’issue sans nuance et victorieuse de chaque situation étant connue par avance, aucun événement ne parvient à dérouter le lecteur, à remettre en cause un équilibre connu, donc à émouvoir.
Là où l’agacement produit par des combats répétés à l’envi pourrait être atténué par des descriptions variées et originales, on les découvre plombées par la pauvreté du vocabulaire et plaçant sans cesse une distance entre le lecteur et le récit, conséquence d’un recours incessant aux digressions et aux remarques humoristiques. Et gageons qu’ici, pour une fois, la traduction n’est pas en cause : on connaît la qualité du travail de Pierre-Paul Durastanti — on se souvient, par exemple, de la splendide traduction de L’I.A. et son double de Scott Westerfeld chez Flammarion — et d’Arnaud Mousnier-Lompré…
Dernier défaut de taille : l’aspect sommaire de la psychologie des héros et les enchaînements bâclés. Les péripéties sont assenées sans construction et s’empilent sans souci narratif, sans recherche de crédibilité. Lorsque Traquemort décide de se rebeller contre l’empire, choix pourtant lourd de conséquences, l’évolution de son personnage (de noble oisif à pourfendeur des injustices) tient en deux pages (p. 206-207). Lorsque son ancêtre lui livre l’arme absolue, aucun questionnement ne l’assaille sur l’opportunité de livrer à un descendant qu’il connaît à peine une arme capable de reléguer Hiroshima au rang de fait divers. Un dialogue d’une pauvreté navrante, de quelques lignes à peine (p. 426-427), suffit à expliquer son choix.
Et dire que ces six cent pages ne sont que le prélude à la véritable rébellion contre l’empire, prétexte à noircir les pages d’au moins cinq autres énormes livres non encore traduits…