Il fallait s’y attendre. La commémoration du décès de Philip K. Dick donne lieu dans nos contrées à une vaste opération commerciale. En vrac, des ouvrages para-textuels plus ou moins inspirés, des rééditions augmentées, à la traduction révisée ou pas, et les ultimes inédits de l’auteur américain. Fort heureusement, on échappe encore à la publication de sa liste de courses, sans parler de son armoire à pharmacie…
On le sait, l’œuvre de Dick a marqué l’Hexagone. Elle fascine ou agace, encourageant les ratiocinations et le bruit blanc. Elle suscite toujours les vocations et a réussi le tour de force de rassembler les publics du mainstream et des littératures de genre, guère en phase l’un avec l’autre (euphémisme).
Deuxième titre paru aux éditions du Feu sacré, toute jeune maison lyonnaise, l’essai d’Aurélien Lemant a toutes les apparences de l’ouvrage arty et intello chic. De quoi faire trépigner les vieux crabes s’agitant encore dans les casiers du fandom. Petit livre de 107 pages à peine, Traum (laissons de côté le sous-titre un tantinet fumeux) annonce d’emblée la couleur. Démontrer que l’œuvre de Philip K. Dick imprègne littéralement notre réalité. Prouver que ses thèmes, son doute existentiel, pour ne pas dire sa folie, hantent le spectacle de notre quotidien, contaminant jusqu’aux sphères musicales, cinématographiques et littéraires. Bref, la culture de masse au sens large.
A l’instar de nombreux autres écrivains, Aurélien Lemant fait de Dick un voyant déchiffrant la trame des rêves multiples qui masque notre réalité. Un voyant se souvenant d’une autre vie présente, très différente, comme il le proclame à la convention de Reims.
Pour Lemant, pas de doute : Dick était un écrivain dont les idées singulièrement vivantes infectaient/affectaient un peu trop le réel. Il a ensemencé l’imaginaire, et même la réalité, avec ses thématiques et ses obsessions intimes, entrant en résonance avec des préoccupations universelles.
Cette perspective ouvre les portes à un vertige métaphysique : « Toutes les réalités sont des réalités altérées, les unes vis-à-vis des autres. La réalité est multiplexe, non objective et question de point de vue. » Pour valider son argumentation, Lemant sélectionne quelques références cinématographiques, en particulier Inception de Christopher Nolan, musicales (Les Beatles), picturales (Salvador Dali) et textuelles (Antonin Artaud). Il jette ainsi des passerelles, tisse des parallèles, donne forme à ses intuitions et pointe les coïncidences entre ces créations artistiques. Mais, en dehors du fait que l’on a parfois du mal à le suivre, on ne peut se débarrasser du sentiment tenace qu’il enfonce des portes ouvertes.
En outre, Traum ne traite pas vraiment de l’œuvre de Philip K. Dick. Tout au plus trouve-t-on une poignée d’allusions à certains titres de l’auteur américain, notamment une interprétation assez intéressante du roman Les Clans de la lune Alphane. Le livre comporte également peu d’éléments biographiques, se cantonnant plutôt à une sorte d’exercice de style, vaguement théâtral, où le fourmillement des pistes et des idées tient lieu de fil directeur.
En conséquence, on ressort de cette lecture avec une impression mitigée. C’est bordélique, inachevé et au final assez frustrant. En somme, pas vraiment un livre indispensable, surtout pour le prix proposé (10 euros !). Pas question de se laisser tondre la laine sur le dos du mouton électrique !