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Les critiques de Bifrost

Traversée vent debout

Traversée vent debout

Jim NISBET
RIVAGES
576pp - 25,00 €

Bifrost n° 69

Critique parue en janvier 2013 dans Bifrost n° 69

Grand lecteur et écrivain frustré, Charley Powell a trouvé dans la mer ce suprême refuge pour ceux ayant décidé de s’affranchir de l’humanité (dixit Rafael Sabatini). Abandonnant sa sœur cadette Tipsy, il a largué les amarres et opté pour une existence bohème. Pour autant, il n’a pas lâché ses mauvaises fréquentations, trafiquant à l’occasion pour leur compte. Chargé de convoyer en solitaire à bord de son voilier le Vellela Vellela un colis illégal, il fait naufrage dans la mer des Caraïbes après avoir heurté un conteneur. Fin de l’aventure.

Pendant ce temps, accoudée au zinc d’un bar de San Francisco, Tipsy écluse son shot de tequila avec Quentin, homosexuel notoire, maudissant son frère. Elle vient d’être en effet informée qu’il effectue une mission pour quelqu’un dont le commanditaire n’est autre qu’une organisation religieuse secrète manipulant le cours de l’histoire mondiale via la démocratie américaine. Comme si le trafic de cocaïne ne lui suffisait pas…

Elle finit par rencontrer Red Means, avec qui Charley a fait affaire pour cette mission. Le bougre a ramené dans une glacière la tête coupée de son frère. Dans quelles circonstances ? Red compte bien lui raconter toute l’histoire. En échange de sa peine, il espère qu’elle lui révélera un indice sur le lieu où Charley a pu cacher le colis qu’il devait convoyer. Un paquet pour lequel son commanditaire est prêt à tuer.

Même s’il demeure un auteur confidentiel, au moins autant outre-Atlantique que dans l’Hexagone, on ne peut plus considérer Jim Nisbet comme un perdreau de l’année. L’écrivain américain a en effet déjà publié une dizaine de titres sous nos longitudes, exclusivement chez Rivages. Des livres disponibles parfois seulement en France, où Nisbet jouit de l’aura d’auteur culte. Si la plupart de ses romans relèvent du genre policier ou du thriller, ses textes mettent plutôt en scène des francs-tireurs et des marginaux, alcooliques et toxicomanes notoires, en passant par de dangereux psychopathes. Nisbet ne trouve son plaisir que dans le détournement des codes, écrivant des livres inclassables même si leurs ressorts s’inscrivent dans un genre ou un autre. Pas sûr qu’avec Traversée vent debout, les choses s’améliorent…

A vrai dire, il y a matière à rester perplexe en lisant ce nouveau roman. Jim Nisbet commence très fort avec un avertissement laissant entendre que son histoire ne serait qu’une transcription neuronale, du moins son prologue. Celui-ci constitue d’ailleurs une entrée en matière déroutante tant par son style — une sorte de SF qui ne déparerait pas dans l’anthologie Dangereuses visions. Complètement décontextualisé — est-on dans le futur ou un rêve ? —, ce prologue projette le lecteur dans une situation où tous ses repères sont brouillés. Des éléments familiers y côtoient une vision fantasmatique, sorte d’expérimentation SF truffée de mots valises abscons — dronifleur, holotorium et j’en passe…

Le récit qui suit ce morceau de bravoure n’en est pas moins perturbant. Mélange de thriller, d’intrigue conspirationniste et de roman maritime, Traversée vent debout bouscule le lecteur dans ses habitudes. Il l’agace au point qu’il se demande à plusieurs reprises si l’auteur ne se fiche tout simplement pas de lui.

Au travers des circonvolutions de l’histoire, on distingue tout de même deux lignes narratives principales. L’une classique, la composante thriller du roman, et une autre plus expérimentale, sorte de méta-récit issu des transcriptions neuronales mentionnées par Nisbet, où le narrateur et sa narration sont, en quelque sorte, mis en abyme.

Roman ardu et exigeant, Traversée vent debout risque de laisser à quai beaucoup de lecteurs. Quant à savoir où se cache la Vraie Vérité, sujet abordé à plusieurs reprises dans le texte, il semble que tout soit question de point de vue et de perception. A chacun de se forger le sien.

Laurent LELEU

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