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Les critiques de Bifrost

Treis, Altitude Zéro

Treis, Altitude Zéro

Norbert MERJAGNAN
DENOËL
336pp - 20,00 €

Bifrost n° 64

Critique parue en octobre 2011 dans Bifrost n° 64

On avait apprécié Les Tours de Samarante, premier volume d’une trilogie dont Treis, altitude zéro est la partie centrale. Même si pénétrer dans l’univers âpre de Norbert Merjagnan est difficile, tant il est exigeant envers son lecteur : près de cent pages à devoir accepter de ne pas réellement comprendre où on va, qui on croise, ce qu’est ce monde. L’auteur semble dire à celui qui ouvre les pages de ses œuvres : découvrir mon univers n’est pas aisé, les phrases ne sont pas qu’un simple outil transparent, les mots ne sont pas interchangeables. Bref, écrire est un choix et lire un travail. Mais un travail plaisant. D’autant plus quand on a rongé son frein, quand on a suivi sans garantie autre que le choix d’un éditeur (remercions-le, d’ailleurs, de publier un nouvel auteur français de cette qualité) et que l’on découvre enfin l’architecture de cette société, les liens qui unissent les personnages.

En débutant Treis, altitude zéro, on se dit que la période d’adaptation est terminée. Que l’on va entrer directement dans l’histoire, sans le long sas du premier roman. Erreur ! Norbert Merjagnan nous ballotte à nouveau sur des sentiers dont il ne révèle les contours que progressivement. Les variations de style, selon les personnages suivis, forcent encore à l’attention et à la concentration.

Heureusement, des têtes connues émergent : Cinabre et Oshagan. La première, dont l’importance capitale et la force inouïe se dévoilent peu à peu. Le second, obstiné, à la recherche de sa sœur, finalement vivante. Triple A, également, petit être inadapté à la société qui l’a vu naître mais qui s’avère pièce centrale d’un avenir incertain. De nouveaux personnages apparaissent aussi, remplacent ceux qui n’ont pas survécu aux Tours de Samarante. La marraine, être énorme, Méduse revisitée avec ses tresses de métal en guise de cheveux. Itaka Ten, le mystérieux hurleur, aux pouvoirs si particuliers. Le Seigneur Valar de Thirce, qui s’oppose à sa hiérarchie et risque tout pour sauver son monde du péril mécanique qui le menace : les Borgs et leur univers de machines. On découvre aussi de nouveaux lieux, entraperçus dans le premier opus : l’aliène, frontière avec l’ennemi, vaste désert aux habitants durs. Et, surtout, Treis, la Cité mère, pourrie, gangrenée par le mal qui ronge la planète et la menace de plus en plus violemment. Les fils, mis en place dès le début des Tours de Samarante, continuent à se dévider, à se mêler vers un destin que l’on devine tragique. La machine, comme dans les tragédies antiques, semble se dérouler, inexorable, et broyer sans pitié ceux qu’elle croise.

Pour nous faire découvrir son univers, Norbert Mejagnan utilise la langue dans ce qui fait sa force : chacun a ses propres tics, sa façon de s’exprimer. Aussi, l’auteur adapte sa syntaxe et son lexique à ses personnages. Dans les chapitres qui narrent le destin hors du commun de Triple A, le gamin des rues à l’aise nulle part, heureux seulement quand il court, le rythme des phrases s’accélère, tressaute ; le vocabulaire devient familier, voire vulgaire. A d’autres moments, l’écriture se fait caressante, lyrique. C’est une des richesses de ces livres et une de ses principales difficultés. On doit sans cesse rester concentré, sous peine de perdre le fil de cet univers noir, des paragraphes à la poésie sombre et rugueuse. Et on pense à des auteurs comme Thierry Di Rollo, pour qui le rythme de l’écriture, les respirations ont une telle importance. Exigeant est décidément l’adjectif qui caractérise le mieux ces deux premiers volumes. Mais cela n’est pas gratuit et l’on ne regrette en rien d’avoir persévéré à s’aventurer dans ce monde. En attendant la fin, explosive, sûrement, dans le troisième et dernier tome, un ultime volet qu’on espère à paraître avant trois ans d’intervalle…

Raphaël GAUDIN

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