Augo LYNGE
PRESSES DE L'UNIVERSITÉ DU QUÉBEC
172pp - 16,00 €
Critique parue en juillet 2017 dans Bifrost n° 87
Les Presses de l’Université de Québec nous livrent un ouvrage pas banal avec Trois cents ans après, le deuxième roman groenlandais (1931)… et par ailleurs un roman d’anticipation. Mais aussi un roman policier? ? Surtout, en fait, un roman politique.
L’auteur se projette en 2021, date du tricentenaire de la colonisation du Groenland par les Danois. Un pays qui a bien changé… Mais pour le mieux? ! Car le propos est idéaliste, utopique même – ce qui ne l’empêche pas de se montrer lucide et réaliste, quitte à être parfois un peu timide (notamment en matière scientifique et technologique, hors l’évocation d’un projet de faire fondre l’inlandsis…)? ; aussi cette « prospective » s’est-elle globalement vérifiée.
Pour exposer ses idées, Augo Lynge choisit donc la voie de la fiction. Sans surprise, ce n’est pas ici que le roman brille : le cœur de la narration repose sur la course-poursuite rocambolesque de redoutables cambrioleurs, un brin puérile, même si l’auteur se débrouille dans l’usage des cliffhangers…
Mais le propos est donc politique (Augo Lynge a ultérieurement fait carrière, d’abord au Groenland, ensuite au Danemark)? ; l’anticipation peut-être, le policier sans doute, sont des prétextes, et chaque chapitre est d’abord l’occasion de discourir sur le Groenland, l’économie, le progrès…
Or, si l’auteur aime son pays et sa culture, ce qui pourrait faire de lui un « nationaliste », ce n’est certainement pas dans une optique de fermeture, bien au contraire – et, sous cet angle, il ne s’agit pas non plus d’un roman issu de la décolonisation, disons.
Le Groenland est un beau pays? ? Oui – mais tous les pays sont beaux pour ceux qui y sont nés… à moins qu’ils ne s’en fatiguent : les poètes eux-mêmes se lassent de la neige à mesure qu’elle se salit. La culture groenlandaise est admirable? ? Oui, mais pas plus qu’une autre, et même les personnages les plus attachés à l’héritage millénaire des chasseurs de phoques ne sont pas insensibles au discours suggérant qu’il est bien temps d’avancer, sans oublier, dans la direction du progrès, valeur cardinale (et quitte à ce que cela implique l’intégration d’une forme d’éthique bourgeoise).
Par ailleurs, concernant le colonisateur danois, Lynge ne prône pas l’indépendance, mais la coopération. Il veut que les Groenlandais soient considérés les égaux des Danois, et aient leur part tant dans la gestion partagée du Groenland que dans celle du Danemark. Dès lors, il ne rejette pas les Danois, et pas davantage les étrangers : les non-Groenlandais sont une bénédiction pour le pays, car ils l’ouvrent au monde, condition nécessaire du progrès. Il n’y a pas lieu de se plaindre que le monde change, et le Groenland aussi, comme partie intégrante du monde. La condition d’un avenir radieux est que les Groenlandais, en s’affichant comme descendants tant des Inuits que des Danois, développent enfin suffisamment de confiance en eux pour avancer avec le reste du monde, dans le respect mutuel.
Bien sûr, pareille approche a ses conséquences sur les qualités proprement narratives de Trois cents ans après – un roman guère brillant. En tant que témoignage, par contre, il est tout à fait intéressant, et parfois même fascinant. Caractère qui, étrangement, lui confère une certaine universalité, en dépassant la seule question groenlandaise : ce plaidoyer sur l’ouverture ne devrait pas laisser indifférent.