Guillaume CHAMANADJIAN
AUX FORGES DE VULCAIN
416pp - 20,00 €
Critique parue en juillet 2022 dans Bifrost n° 107
Nous avions quitté Nox à la fin du Sang de la cité (Prix Imaginaire de la 25e Heure du Livre, Prix Libr’à Nous Imaginaire et Prix Imaginales du Roman Francophone, rien que ça… cf. critique in Bifrost n° 103) fuyant la maison de la Caouane et une cérémonie de mariage digne de « Game Of Thrones », son odieuse sœur incendiaire, et les intrigues politiques de Gemina, la ville tentaculaire. Or, on ne peut échapper à son destin aussi facilement. Tour à tour, les ennemis de son père d’adoption, le duc Servaint, se pressent à la porte de l’échoppe de Saint-Vivant, que Nox dirige seul à présent, pour lui demander d’assassiner l’homme qui l’a élevé. Il refuse, et ni les menaces ni les charmes de certains conspirateurs n’arriveront à bout de son entêtement. Il n’est pas un meurtrier. De plus, il a d’autres projets en tête. Nox découvre par hasard qu’il est l’héritier d’une propriété près de Dehaven, la Tour de Garde, là où fut inventé le jeu du même nom, et il compte bien s’y rendre avec son ami Symètre, contraint de se cacher depuis que la Recluse a découvert son secret. Mais s’il est facile de tromper ses ennemis terrestres, qu’en est-il de ceux qui complotent dans le Nihilo depuis des siècles pour prendre le pouvoir sur Gemina ?
Que dire de ce nouvel opus, si ce n’est que les attentes étaient hautes, voire très hautes, et que le résultat est fabuleux ! Guillaume Chamanadjian, à travers le prisme de la fantasy, décortique les arcanes du pouvoir et pointe du doigt le venin qui gangrène notre propre monde, un mélange de peur de l’autre et de sentiment d’invulnérabilité. Quant à la magie, sous couvert de vouloir divertir le lecteur (qui n’a jamais eu envie de manipuler la pierre ?), elle met en lumière ce besoin qu’ont les puissants de vouloir contrôler ceux qui pourraient les détrôner et de les utiliser à leur avantage. Classique, mais incroyablement efficace et toujours servi par une plume des plus immersive.
Ce deuxième tome de « Capitale du Sud » se fait plus sombre aussi ; Nox n’est plus un joueur de Tour de Garde mais bien la pièce centrale du grand échiquier. On se l’arrache, on le manipule et on le déplace au gré des besoins et des stratégies. Moins haut en couleur que Le Sang de la cité, Trois lucioles n’en est pas moins délicieux : c’est une cuvée dont on sirote les premiers chapitres, tellement heureux de retrouver les rues grouillantes de Gemina. Mais, soucieux du sort de Nox, on vide la bouteille, ivres de connaître le sort du jeune homme. Guillaume Chamanadjian pousse les portes de l’Entre-deux-murs pour protéger son héros – moins d’odeurs et de somptuosités, moins de bruits et de saveurs, le silence entoure Nox et Symètre dans leur retraite, laissant au premier le temps d’apprendre à fluidifier ses passages dans le Nihilo, tandis que le second s’exerce à manipuler la roche. On les pense à l’abri, on les pense en sureté ; oui, nous en sommes certains, Nox trouvera le moyen de quitter Gemina sans sacrifier ceux qu’il aime ; il y arrivera parce qu’il est le héros et qu’un héros n’échoue pas. Jusqu’à l’introduction d’un personnage qui va tout changer – le pion dont on ne se méfiait pas, la distraction qui va finalement prendre racine et magnifier le roman, faire exploser la poudrière, transformer une querelle de pouvoir en révolution. En toile de fond, la distance entre Gemina et Dehaven s’amenuise, mais il nous faudra attendre encore un peu pour le dénouement…