Raphaël ALBERT, Étienne BARILLIER, Jeanne-A DEBATS, Adrien TOMAS
MNÉMOS
144pp - 36,00 €
Critique parue en juillet 2018 dans Bifrost n° 91
« Le Cycle de Tschaï » figure parmi les œuvres phares de Jack Vance ; cette tétralogie bourrée de rebondissements est un modèle de planet opera, où l’auteur a mis à profit son talent pour la création d’univers et de sociétés bigarrées et complexes. Les aventures d’Adam Reith sur cette planète lointaine, où quatre espèces extraterrestres dominent une humanité importée il y a bien longtemps, sont l’occasion d’explorer un monde fascinant, riche de possibilités. Tschaï : retour sur la planète de l’aventure, nouveau titre de la très belle collection « Ourobores » des éditions Mnémos, joue légitimement de cette carte, pour un résultat enthousiasmant.
La réalisation de ce beau livre a fait appel à quatre auteurs et un illustrateur, Dogan Oztel ; celui-ci livre un bon travail, et l’ouvrage est assurément beau, même si quelques-uns de ses prédécesseurs (Kadath : le guide de la cité inconnue) étaient peut-être plus riches sous cet angle. Le résultat est tout de même plus que satisfaisant — et la maquette assez sage garantit le confort de lecture.
Le travail des quatre auteurs a été orienté aussi bien par les canons de la collection « Ourobores » que par les romans de Jack Vance : celui-ci avait titré les quatre livres du cycle avec les noms des espèces extraterrestres dominantes — Le Chasch, Le Wankh, Le Dirdir et Le Pnume. Cependant, Adam Reith avait surtout affaire aux quatre races d’ » hommes hybrides » associées à ces espèces : Hommes-Chasch, Hommes-Wankh, Hommes-Dirdir et Pnumekin. La répartition des tâches entre les quatre auteurs s’est donc basée sur ce principe, avec respectivement Étienne Barillier, Raphaël Albert, Jeanne-A Debats et Adrien Tomas.
Cependant, il s’agit pour eux de décrire « la planète de l’aventure » après le départ d’Adam Reith — or son séjour a tout changé… Les humains de Tschaï viennent à croire ses récits, selon lesquels ils viendraient originellement d’une même planète, la Terre ; mais, parallèlement, ils ont pris conscience de la position inférieure dans laquelle les maintenaient leurs races maîtresses, et un vent de révolte se met à souffler… qui doit beaucoup à la présence d’agents terriens infiltrés — sur la base des rapports d’Adam Reith, dont on ne saura rien de plus — qui préparent l’arrivée de la flotte solaire. On trouve de semblables agents auprès de tous ceux qui s’élèvent pour constituer de nouveaux pouvoirs, désireux de se libérer de l’emprise des races maîtresses — et qui se surveillent mutuellement, la méfiance étant de mise… y compris à l’encontre de ces Terriens qui agissent dans l’ombre, et dont les ambitions ne sont pas innocentes ! En fait, les « hommes hybrides » au cœur des quatre récits sont souvent vus de l’extérieur, par les agents qui les conseillent… et les manipulent.
L’ensemble forme un récit cohérent, qui se lit comme un roman, au travers d’une narration épistolaire passant par des documents divers — correspondances et rapports de renseignement pour l’essentiel. Raphaël Albert, qui nous présente le versant religieux et intriguant de cette affaire avec le Culte de Reith, et Adrien Tomas, qui se confronte aux hermétiques Pnumekin, sont probablement ceux qui s’en tirent le mieux avec cette dimension « matérielle » — mais le fond, chez Étienne Barillier, dans la geste épique et utopique de Jra Acton l’Homme-Chasch, et chez Jeanne-A Debats, dont la Femme-Dirdir et son amante terrienne ont un comportement bien plus iconoclaste dans un récit qui ne l’est pas moins, ce fond, donc, rachète sans peine quelques menus défauts dans la présentation.
L’ensemble constitue un récit aussi juste que palpitant, détournant à sa matière l’aventure vancienne en lui témoignant en même temps un grand respect. Et s’avère une lecture aussi agréable que convaincante.