C’est une nouvelle fois la fiction qui devient le révélateur de certains aspects de la société dans Twin Peaks 90210, à travers un autre parcours halluciné dans la jungle des coïncidences et des liens hasardeux. La quête devient ici enquête, celle qui tente de mettre à jour les relations entre deux séries télévisées bien distinctes, Twin Peaks de David Lynch et Beverly Hills, 90210, d’Aaron Spelling, présentées concomitamment sur deux chaînes différentes. Les correspondances sont à ce point troublantes qu’elles ne peuvent être dues au hasard. Quels sont les liens qui les unissent ? Pourquoi Sheryl, dans Beverly Hills 90210, porte-t-elle le prénom de l’actrice qui incarne Laura Palmer dans Twin Peaks et con-somme-t-elle une boisson bleue une semaine avant que les protagonistes ne boivent à leur tour un cocktail de même couleur ? C’est autour de la théorie du complot qu’est bâti cet essai. Léo Henry livre les détails de l’enquête qu’il a menée : on croise Jacques Mucchielli et Pacôme Thiellement, connaisseurs de l’œuvre de Lynch, Erwann Perchoc, « le numéro un et demi du Bélial’ », qui lui conseille de cartographier les embranchements des deux séries, et même le scénariste et réalisateur Darren Star, créateur de Beverly Hills 90210, croisé à New York. L’accumulation de détails donne à l’ensemble un indéniable effet de réel. Léo Henry s’amuse beaucoup à établir des liens convaincants en jouant sur tous les registres. Il y a du « Tlön Uqbar Orbis Tertius » de Borges dans cette construction hallucinante, mais c’est davantage au crazy wall, la mosaïque de photos et références tissés de liens par l’enquêteur obstiné que songe l’auteur. Cette mise au jour d’une réalité cachée est un fantasme emblématique de nos sociétés surinformées, qui cherche à donner du sens à une masse de données étouffante. La vérité est ailleurs, assurément inaccessible, et renvoie davantage à l’enquêteur qu’au monde qu’il s’emploie à décrypter. C’est de ce que l’auteur cherche à nous persuader, avec une habile pirouette finale. Fascinant de bout en bout, une fiction en forme d’essai, à moins que ce ne soit l’inverse, d’une grande intelligente.
En deux courts textes (avec L'Autre Côté), Léo Henry réaffirme ce qu’en Bifrosty, on sait depuis un moment déjà : il est à ce jour l’un des plus passionnants auteurs d’Imaginaire qui soit.